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une angoisse, et qui désormais domine toute son œuvre.

La foule avait reconnu en lui quelques-unes des plus authentiques qualités de la race ; aussi l’avait-elle justement et sans qu’il l’eût cherché, salué poète national. Il rêva d’épopée. La France d’alors se reprenait de goût pour les gloires napoléoniennes : il les cueillit dans l’air. Ce fut l’Aiglon. Pouvait-on rendre quelque couleur à la pâle figure du duc de Reichstadt ? Rostand voulut que, dans cette conscience partagée entre deux hérédités, celle des Bonaparte et celle des Habsbourg, un drame se soit joué qui ait eu quelque chose de shakspearien. Il a fait du fils de l’homme un autre Hamlet et n’a pas omis même les visions et les hallucinations. Mais sans doute le « pauvre enfant » était trop frêle pour supporter le poids d’une telle création. Le rôle était trop purement imaginaire et factice et ne reposait pas sur ce minimum de réalité, dont ne peut tout de même pas se passer un personnage historique. Au contraire, depuis l’instant où Flambeau fait son entrée dans la pièce, une des plus superbes entrées qu’il y ait au théâtre, — le drame est déséquilibré, l’intérêt se déplace, il va tout entier au personnage secondaire qui émerge au premier plan ; la vague silhouette du prince souffreteux disparaît devant la solide carrure du grognard, qui revient de si loin, qui a fait le tour de l’Europe en combattant, et qui n’est pas fatigué ! C’est que ce rôle-là plonge ses racines dans le sol. Il est un résumé d’histoire. Il fait mieux que d’expliquer, il montre, il rend sensible aux yeux ce dévouement des petits, grâce auquel a été possible l’épopée impériale. Et, comme tout se tient dans l’histoire d’une nation, ce rôle qui incarne tout un passé glorieux allai ! être la préface de lendemains aussi épiques. Tout ce qui est dit dans l’Aiglon des grognards de l’Empire, peut se redire et s’est vérifié pour les poilus de la Grande Guerre.

J’ai toujours pensé que si Rostand avait tant hésité et tant tardé à nous donner son Chantecler, c’était non pour aucune des difficultés accessoires et d’ordre matériel qu’on a mises en avant, mais parce qu’il ne pouvait se décider à livrer au public une pièce qui, dans ses parties essentielles, est une ardente confession. Car tout le rôle de Chantecler n’est pas autre chose, et c’est un des plus poétiques symboles par lesquels on ait jamais traduit la fonction du poète éveilleur d’aurore. Chantecler c’est le poète, à la façon dont le conçoit Rostand,