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d’une dégringolade plus excentrique. Tassé contre le bord de la carlingue, je serais infailliblement « vidé, » n’étaient les bretelles qui me retiennent. Je m’efforce d’agir, les pieds arc-boutés sur le gouvernail, le manche à balai coincé contre le coude, — la main gauche, d’instinct, coupe robinets et contacts électriques, — impossible de redresser. En bas, l’écrasement est fatal ! Qu’importe, si c’en est fini de cette abominable torture ?

Et voilà qu’en films électriques repassent à mes yeux, depuis les plus tendres années, ma vie active d’avant, quand je l’avais encore, inconscient de mon bonheur. Toutes ces poignées d’engins sportifs que j’ai tant aimé à manier, tous ces volants de direction, symboles de vitesse et de jeunesse, d’espaces largement ouverts devant soi, il me semble les toucher, les tordre dans mes mains. A chaque bonheur passé, contrastant avec les infortunes à venir, mon imagination surexcitée s’attarde en implacables tableaux… Voici maintenant les visions de l’existence ratatinée d’amputé qui m’attend sans elle : l’infirme, incapable seul d’un effort et si à part parmi les autres, les routes du ciel et de la terre désormais fermées. Et le heurt du crochet d’acier à l’extrémité du bras mutilé, sonne déjà à mes oreilles. Oh ! non ! est-ce possible ? Mieux vaut mille fois y rester ; en finir à jamais ! Ma main droite amputée !... Un monde d’images, une révolte furieuse bouillonnent dans ma cervelle en fusion ! « Ecrase-nous, machine funeste !... » Les événements servent mes vœux, l’avion que rien ne gouverne continue son abattée : un moment et tout sera terminé. Qu’importe ! combien de fois me suis-je juré à moi-même de mourir là-haut plutôt que d’y subir quelque atroce destin. D’autres payèrent d’exemple et devant l’incendie qui menaçait de les dévorer, des camarades ne se sont-ils pas achevés d’une balle de revolver ? De minute en minute, l’infernal supplice s’accroit, la brûlante morsure de l’essence cautérise les nerfs à vif et me tord de douleur dans la carlingue. Je n’aurais même plus la force de piloter ! La terre approche, dont s’affirment les détails ; toujours couché sur le flanc, l’avion glisse éperdu. « Vite ! plus vite ! mon Dieu, dans un instant je vais paraître devant vous. Pitié ! vous qui savez mon martyre !... »

Que se passa-t-il ? L’instinct de la conservation imposa-t-il seul son suprême commandement ? Plus encore, cette agonie en apparence interminable qui laissait à la pensée tout son