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Successivement les cartouches de ses deux mitrailleuses fusent en l’air comme autant de pétards, les réservoirs explosent. L’huile dont le moteur et la carlingue sont imbibés, grésille au milieu du brasier.

De toutes parts, des soldats, invisibles auparavant, bondissent hors de leurs terriers. Ils agitent leurs casques et battent des mains. L’Allemand et sa monture ne sont plus qu’un tas noir d’où se dégage une épaisse fumée., Mon moteur bourdonne avec enthousiasme. Un salut aux camarades de la terre, et l’instant d’après, à 3 000, mon équipier et moi avons rejoint la patrouille et continuons la chasse.

Le soir en auto, à travers le désordre du champ de bataille, nous montons reconnaître les débris de l’appareil. Les poilus des tranchées, témoins anxieux des péripéties du drame, nous réservaient un accueil triomphal. Avec le crépuscule, une tristesse affreuse tombe sur ce plateau bouleversé du Moulin de Laffaux. Çà et là, le long du Chemin des Dames, les arbres que cribla la mitraille se tordent de souffrance et dressent dans l’ombre leurs bras mutilés comme pour prendre à témoin les étoiles elles-mêmes. De la nature égorgée semble monter une clameur farouche : « Vengeance ! Encore et toujours vengeance ! »


NOUS AUTRES

Peu d’armes se peuvent comparer à la nôtre, Aucune, à première vue, n’offre plus de riants attraits. La même vie de grand air et de mouvement nous réunit en groupes de jeunes gens, accourus de leur plein gré, tous fanatiques de leur métier. La plupart dépassent à peine vingt ans, l’âge de l’effort où la vie est sans prix, où la joie d’agir fait oublier au plus grand nombre les affections loin desquelles il leur faut vivre, malgré tout, leurs plus belles années. Devant eux la discipline militaire adoucit ses austères principes, l’autorité du chef est celle d’un père, d’un ami, dont les ordres sont devancés avant même que d’être formulés.

Mais durant ces croisières aériennes où les dixièmes de seconde ont une valeur pour donner et parer les coups, à des vitesses qui peuvent atteindre près de 400 kilomètres, pendant ces centaines et ces centaines d’heures où le pilote s’isole, face à face avec lui-même « seul maître à son bord après Dieu, » la