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qu’il avait franchie naguère pour des messages d’un autre genre, von der Lancken put se rappeler deux conversations, l’une sur les protestations « qui ne servaient à rien, » l’autre sur la brèche de la cathédrale, qu’il fallait « cacher. » Les protestations avaient servi à quelque chose, et la brèche, toujours ouverte, les prolongeait. La Belgique avait bien fait de ne point se taire, et de pas accepter que rien fût « caché. » Le message que von der Lancken n’avait pu écrire qu’avec une grande douleur fut l’objet d’un grand honneur. Une circulaire cardinalice ordonna que le 20 octobre 1918, dans toutes les provinces, les lignes de von der Lancken fussent lues solennellement. Le cardinal ajoutait :


Persévérez unanimement dans la prière.

Restez calmes et dignes.

L’heure de la libération définitive et de la paix victorieuse est proche. Courage et confiance !

Sacré Cœur de Jésus, j’ai confiance en vous.

Sacré Cœur de Jésus, protégez la Belgique.

Notre-Dame du Saint-Rosaire, Marie Médiatrice, priez pour nous.


Ainsi fut commentée la communication de von der Lancken : l’archevêque continuait son ministère de prière. Pour la première et dernière fois, le dimanche 20 octobre 1918, l’Allemagne, qui depuis cinquante mois essayait de faire parler à son gré les prêtres de Belgique, ou de les faire taire, fut admise à parler elle-même, du haut de la chaire chrétienne : elle déclarait qu’elle s’en allait. Elle s’en allait, vaincue, et chargeait de son témoignage d’admiration pour le patriotisme belge le prélat qui, de son propre aveu, malgré elle, avait « incarné » ce patriotisme.

Mais sur le piédestal même où les adieux de l’Allemagne achevaient de l’installer, le cardinal, supérieur à sa propre gloire, s’abandonnait-à des réflexions plus hautes encore. Il lui plaisait, à lui l’homme de Dieu, de sentir que l’Eglise de Belgique, après avoir été l’institutrice de l’âpre « endurance, » était, pour tout le peuple belge, la première messagère des nouvelles joyeuses : c’était devant les autels de Dieu, par la bouche des ministres de Dieu, que la nation, dans chaque commune, apprenait qu’elle était libre. En son âme de prêtre, le cardinal Mercier se réjouissait.


GEORGES GOYAU.