Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec Ferdinand et ne cachai pas l’opinion défavorable que je m’étais faite du caractère du Roi. Insensiblement je passai à la dernière crise balkanique. En parlant des négociations qui avaient abouti au traité serbo-bulgare de 1912, je me permis d’attirer l’attention de Sa Majesté sur le fait que, au cours de ces négociations, j’avais à plusieurs reprises fait ressortir, dans mes lettres confidentielles à M. Sazonoff, le danger d’une guerre balkanique, comme suite logique de l’entente entre Serbes et Bulgares, dirigée en substance contre la Turquie. « Oui, oui ; je le sais, Sazonoff m’a montré vos lettres, » dit l’Empereur. Je passai aux événements subséquents et, en parlant du récent désastre bulgare, je traçai devant Sa Majesté le tableau fidèle de la situation actuelle en Bulgarie, sans cacher que non seulement le roi Ferdinand, mais aussi la majorité du peuple bulgare, éprouvait un acerbe ressentiment contre la Russie. « Et cependant, ajoutai-je, chez la majeure partie des Bulgares ce sentiment n’a pas complètement effacé les traditions de Reconnaissance et de dévouement envers sa grande libératrice et envers le Tsar Blanc. » Ces traditions sont obscurcies, mais elles peuvent et doivent renaître. Je me permettrai d’émettre franchement l’opinion qu’à la conférence de paix de Bucarest on a été trop dur envers les Bulgares. Si nous pouvions faire comprendre aux Bulgares qu’à la première occasion propice, nous leur ferions restituer au moins une partie de ce qu’ils viennent de perdre, ils vivraient de cet espoir. Il est dangereux de fermer toute espérance devant un peuple ; cela l’humilie, le déprime et l’expose aux plus funestes influences ... — Mais qu’est-ce que vous croyez que l’on pourrait restituer aux Bulgares ? » interrompit assez vivement l’Empereur. — Une partie de la Macédoine, Sire, au cas où les Serbes pourraient obtenir l’accès à la mer Adriatique qu’on leur a si injustement enlevé. Mais surtout et avant tout, Andrinople et Kyrk-Kilissé... »

L’Empereur réfléchit un instant... « Oui, finit-il par répondre, mais actuellement ce serait tellement difficile !... Non, en ce moment on ne peut même pas y songer ; alors comment leur donner des espérances irréalisables ? » Une note de sincère regret se faisait jour dans cette réponse. « Il me reste, repris-je après une légère pause, à recourir à votre indulgence, Sire, pour n’avoir pas su mettre à exécution, à l’égard de la