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M. Kokovtzoff. J’allai, bien entendu, le voir et m’entretins avec lui. Le président du Conseil des ministres me fit l’impression de ne pas partager l’optimisme qui semblait régner dans notre Ministère des Affaires étrangères. Il avait l’air de craindre des complications du côté de l’Allemagne. En retournant à Pétersbourg, il s’arrêta lui aussi à Berlin, eut une audience chez l’empereur Guillaume, s’entretint avec Bethmann-Holweg, Jagow et son collègue des finances ; des bruits couraient dans le monde de Pétersbourg que ces conversations avaient rasséréné l’atmosphère politique. Mais je ne saurais pas du tout garantir le bien-fondé de ces bruits.


UNE AUDIENCE A LIVADIA

De Paris, je me dirigeai, par Vienne et Odessa, en Crimée, à Yalta, où se trouvaient en visite chez mon beau-père ma femme et ma fille qui avaient entre temps quitté Sofia. La cour passait, comme d’ordinaire, l’automne à Livadia et j’avais l’intention de profiter de mon séjour à Yalta pour demander une audience à l’Empereur.

En arrivant, je demandai à ma femme si elle s’était présentée à l’impératrice Alexandra. « Il n’y a pas eu de vraie présentation, fut la réponse. L’Impératrice ne reçoit pas officiellement à Livadia ; mais j’ai été invitée à un diner, avec soirée après. On a dîné par petites tables présidées par les grandes-duchesses qui séjournent en ce moment en Crimée. Après diner, la jeunesse se mit à danser. Les jeunes grandes-duchesses et les demoiselles de Yalta dansaient avec beaucoup d’entrain et sans aucune étiquette avec des jeunes gens, principalement les officiers du yacht impérial. — Est-ce que l’Impératrice a été aimable ? — Sa Majesté n’a dit mot à aucune des dames présentes ; elle était assise tout le temps avec un air maussade, je dirai presque tragique, et son visage ne se rassérénait un peu que lorsqu’une des jeunes grandes-duchesses s’approchait d’elle pour lui parler ; quant à ces délicieuses jeunes filles, elles s’amusaient de tout cœur. — Mais qu’est-ce que cela veut dire ? — Oh ! c’est tout une histoire, hélas ! A propos, voici une invitation pour nous deux au diner de samedi prochain ; mais je viens d’apprendre que ce diner n’aura pas lieu. » Effectivement, le lendemain un courrier du