Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cerveau du roi : « Eh ! qui sait si ce qu’il me débite ne cache pas un piège ? s’il ne cherche pas auprès de moi une réponse qui me compromette ou me lie ? » — A partir de ce moment tous vos arguments devenaient inutiles.

Tel était le Souverain auquel je venais présenter mes lettres de créance et que je devais avoir pour partenaire dans le cours des événements les plus graves qu’ait traversés la Bulgarie, et qui se sont reflétés d’une façon fatale sur nos rapports avec le peuple bulgare.

…………………..


DE SOFIA A PARIS

J’arrive au mois de septembre 1913, où je quittai Sofia. A cette époque, la communication avec Belgrade n’était pas encore rétablie et l’on devait aller prendre l’Orient-Express à Bucarest. Il faisait une chaude journée d’automne tandis que j’effectuais le trajet entre Sofia et Roustchouk. Le soir, à Roustchouk, éclata un violent orage ; et à l’aube, lorsque mon compagnon de route et moi montâmes à bord du petit bateau à vapeur qui devait nous conduire à Djurdjevo, sur l’autre bord du Danube, le temps était si subitement devenu froid qu’il nous semblait avoir soudainement passé de septembre en décembre. Le jour se levait ; au-dessus des vagues grises, et sous un ciel couleur de plomb, un vent glacial du Nord chassait un énorme vol de corbeaux croassants. « Que pronostiquez-vous, sinistres oiseaux ? ne pus-je m’empêcher de penser ; quels nouveaux carnages ? quelles calamités ? »

A Bucarest, je ne ne trouvai plus M. Schébéko. Il avait reçu quelques jours auparavant la nouvelle de sa nomination comme ambassadeur à Vienne et était parti pour Pétersbourg. En prenant à deux heures de l’après-midi l’Orient-Express, j’y rencontrai M. Majoresco, alors encore Président du Conseil des ministres de Roumanie, et m’entretins assez longtemps avec lui des événements politiques qui venaient de se dérouler et dans lesquels nous avions pris tous les deux une part si active. Des quelques heures que je passai ainsi avec les Roumains je pus remporter l’impression que nous jouissions en Roumanie d’une grande popularité. Il n’y a pas de doute pour moi que le souvenir des sympathies russes de 1913 et de l’appui que nous