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Son regard ombrageux et oblique prévenait contre lui. Et plus ses camarades et le monde lui marquaient d’éloignement, plus il distillait en secret de venin et de bile, et plus il nourrissait dans le fin fond de son cœur des ambitions qui eussent provoqué des éclats de rire s’il s’était aventuré à les dévoiler. Il ne trouvait encouragement et sympathie qu’auprès de sa mère. Aussi était-ce le seul être qu’il eût réellement chéri et dont il eût subi l’influence. A partir du jour de la mort de la princesse Clémentine, le cœur de Ferdinand resta absolument désert.


A l’abdication du prince Alexandre de Battenberg, le monde diplomatique européen fut étonné des démarches du jeune prince de Saxe-Cobourg qui posait sa candidature. Les cours s’en moquèrent, — la nôtre surtout, quoique le prince Lobanoff, notre ambassadeur à Vienne et intime de la princesse Clémentine, eût soutenu jusqu’à un certain point les ambitions du jeune Ferdinand, qu’il représentait dans ses dépêches comme un personnage infiniment plus marquant que ne l’imaginait l’opinion publique. A Vienne on fut, en somme, content d’avoir sous la main quelqu’un sans conséquence pour tenter l’aventure ; s’il échouait, cela ne serait pas un échec sensible pour la politique autrichienne ; s’il réussissait, on aurait quand même à la tête de la Bulgarie un prince catholique, apparenté à la maison d’Autriche, et naturellement porté contre la Russie qui, à ce moment même, déclarait illégitimes son élection et son installation en Bulgarie.

On connaît les débuts du règne du prince Ferdinand et son effacement complet devant l’omnipotence de Stamboulov. On connaît son mariage avec une princesse de Bourbon-Parme, — jeune femme sans beauté ni santé, mais dont l’intelligence et les hautes qualités morales étaient incontestables. Elle sut avoir de l’affection pour son mari qui, à la fin, le lui rendit un peu et daigna même quelquefois écouter ses avis. Son entourage la chérissait, et même dans le pays elle parvint à se créer quelques sympathies.

Mais les vertus de la princesse Marie-Louise ne pouvaient pas consolider à elles seules le trône chancelant du prince. Ferdinand sentait que la dictature de Stamboulov ne pouvait