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illusoire, d’autant qu’aucune consigne n’est encore établie.

Or, depuis le début de la Révolution, et surtout depuis l’événement de Varennes, l’idée de la fuite ou de l’enlèvement du Roi, de la Reine et du Dauphin hantait tous les cerveaux : cette obsession était le cauchemar des révolutionnaires et le réconfort secret des royalistes ; état d’esprit qui persistera après la mort de Louis XVI et engendrera des fictions. En ce qui concerne le jeune prince, bien des gens se confiaient déjà à l’oreille que, longtemps avant l’internement au Temple, le véritable Dauphin avait été placé par ses parents en lieu de sûreté et qu’un enfant substitué jouait son rôle à la Cour. Soit que ces fables eussent pris spontanément naissance dans l’imagination populaire, toujours avide de romans et de mystère, soit qu’elles reposassent sur de vagues projets avortés, il en subsiste quelques traces dans certains écrits de l’époque. Sans s’attarder à la version d’après laquelle le fils de Louis XVI aurait été, dès 1790, transporté au Canada sous la conduite d’un avocat écossais, master Oack, tandis qu’un enfant de son âge, nommé Laroche, originaire de Toulouse, prenait sa place aux Tuileries, aventure extravagante qui a trouvé des crédules, il faut noter que, au début de 1792, à la Société Démophile, « en présence de trois mille enragés jacobins, un orateur d’occasion révéla que le Roi exposait journellement un enfant extrêmement ressemblant à Monsieur le Dauphin et vêtu de même ; le but de ce stratagème était d’enlever le jeune prince. » On retrouve dans la Correspondance secrète, à la date du 18 juin 1792, un écho concordant : le rédacteur relate que Louis XVI est parfois sujet à des « absences ; » — « dernièrement, il ne reconnaissait point son fils et, voyant celui-ci s’avancer vers lui, demanda qui était cet enfant. »

Une autre attestation paraît un peu moins fantaisiste peut-être, encore qu’elle émane du plus surabondant de nos romanciers ; dans la préface des Fiancés de la Mort, le vicomte d’Arlincourt conte que Marie-Antoinette, « ayant constamment la secrète pensée de soustraire son fils aux cannibales qui le guettaient, » décida, — en 1791, — de le faire passer à l’étranger ; il fut convenu que Mme d’Arlincourt, retirée au château de Mérantais près de Versailles, substituerait au Dauphin son propre fils, — le futur auteur du Solitaire, — qui, né le 31 janvier 1787, avait, sinon le même âge, du moins la même taille