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mort, souffrent mille tourments et se jetteraient au feu pour le sauver, puis qui, lorsque l’armistice…, je veux dire la convalescence… arrive, sentent leur affectueuse angoisse tomber, un peu plus vite même que la fièvre tant redoutée. Je ne sais…

Ce qui est sûr, c’est que son amitié pour la France reste fidèle, bien qu’elle ait peut-être ressemblé un peu, à de certaines heures, à cette petite maison de Downing street où il m’accueille : assez grise, terne et presque pauvre de façade, comme écrasée par les grands édifices officiels qui la surplombent, mais admirable à l’intérieur, toute ornée, d’une richesse élégante, de précieuses œuvres d’art, de souvenirs émouvants. Là, dans un salon, qu’ornent les portraits de tous ceux qui furent les premiers ministres de la Grande-Bretagne, graves ou souriants, sous leurs lourdes perruques et leurs chaînes d’orfèvrerie, la fille de Lloyd George, Mme Caray-Evans, avec une simplicité avenante qui rehausse sa jeune beauté, nous offre la tasse de thé odorant sans laquelle il n’est point d’hospitalité britannique. Quant au premier lui-même, son regard fin et vif, sa tête lourde au sourire léger, casquée d’une longue chevelure d’artiste, sa petite taille, ses propos curieux, gallamment… et galloisement courtois, tout nous rappelle que nous avons devant nous un Celte, plus parent de notre type de France que de l’athlétique carrure des Anglais pur-sang.

Un coup d’œil, en sortant, au cabinet tout simple où délibèrent les ministres et où des buvards modestes, soigneusement rangés, marquent les places des tout-puissants absents et nous voilà dans la rue. J’y avais croisé, au moment d’arriver, les délégués des ouvriers des chemins de fer venus pour discuter avec le premier un problème qui leur tient à cœur (la nationalisation des chemins de fer), et à leur tête, le célèbre Thomas. Leurs regards étaient durs et calmes ; ils n’échangeaient entre eux aucune parole. On voyait qu’on n’était pas en France…

Je passe sur une visite au Times, cette vieille citadelle de la liberté d’écrire, où M. Walther, qui dirige après ses ancêtres successifs (que voilà une belle noblesse traditionaliste !) le grand phare de la presse politique européenne, nous fait une réception somptueuse. Nous en avons vu bien d’autres analogues, où j’admirais l’ordonnance traditionnelle qui préside à l’heure solennelle des toasts et des speechs. Au Times celui de M. William Stead fut exquis et plein d’aperçus profonds, mais trop vastes pour être répétés ici. Dans tous ces repas, dont le rythme était réglé parfois par un ordonnateur à chaîne,