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À voix haute maintenant, la gorge serrée, Aïcha invoquait le Grand… le Clément… le Miséricordieux… Elle pria longtemps… Et c’était sans doute pour que lui fût pardonné son geste que, seule, une jalousie folle avait dicté, pour qu’elle fût exorcisée de ce djinn qui l’avait poussée à vouloir la mort de cette amie si généreuse, qui avait su lui faire la charité sans blessure, comme ses ancêtres les vieux marabouts savaient la faire, de cette lalla de race pure qui, un soir de noces, avait négligé les ivresses qui l’attendaient pour se pencher sur sa douleur.

Elle pria jusqu’au dessèchement de sa poitrine. Elle se sentit quelque peu fortifiée. Elle se leva pour sortir.

Au dehors, ses yeux clignèrent à l’aveuglante clarté du soleil. Un silence profond régnait autour du petit marabout abandonné. C’était déjà la torpeur de midi sur les pierres tombales, les figuiers et les cactus.

Aïcha s’assura qu’elle était bien seule. Elle se dirigea vers l’endroit le plus écarté de l’enclos. Une langue de terre entre deux rocs. Tout autour, des cactus. En bas, dans une flambée de lumière, Sidi-Bou-Medine et la grande maison blanche… Elle s’assit en carré, saisit au hasard un gros caillou de silex, et se mit à creuser vite, vite, avec autant de hâte que le lui permirent ses forces déjà défaillantes. Elle tira de sa ceinture une lame qui brilla comme de l’argent. Et dans le trou, elle jeta le yatagan avec une sorte de fureur.

Quand ce trou fut comblé, elle s’agenouilla comme pour prier sur une tombe. Dans un suprême effort, elle rassembla tout son courage, car la tache la plus pénible pour elle ne s’arrêtait pas là. Au moment de l’entreprendre, la jeune fille blêmit encore et deux larmes brûlantes coulèrent sur ses joues. Elle leva ses yeux pleins de fièvre vers le ciel immense, elle se tordit les bras comme sous une douleur physique. Bientôt, sa bouche s’entr’ouvrit pour jurer son renoncement à l’amour de Didenn. Elle jura sur le nom du marabout qu’avec le yatagan souillé du crime de son père, elle venait d’enterrer son unique espoir… Et puis sa tête vacilla, elle secoua l’air de ses deux mains crispées… Le front en avant, face à Sidi-Bou-Medine, elle s’abattit sans connaissance…

Ce fut la gardienne du marabout qui la ramena chez elle à dos d’âne, bientôt rejointe en chemin par Messaouda qui s’était