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dernière fois ! Elle était si heureuse, si alerte, malgré la lourde cruche à son épaule ! Elle tournait encore la tête à chaque pas vers son sidi, pour lui montrer à travers l’ombre son visage que la joie inondait et ses grands yeux pleins d’une reconnaissance d’esclave… Pauvre petite ! Quelle détresse devait être la sienne, ce soir, dans le gourbi !… Didenn sent son foie se brûler. Non, il n’était pas un homme, comme il l’avait protesté à son amie avec orgueil, il n’était qu’une chmata, — plus qu’un lâche…

Pourtant, il y avait la parole coranique qui l’avait nourri en même temps que le lait de sa mère, et qui lui remontait aux lèvres : Assini ou ti oualdik ! Résiste-moi et soumets-toi à tes parents !… Et en effet, qu’aurait-il pu répondre à cette mère qui était venue vers lui, ce soir-là, hautaine, toute de brocart habillée : « Didenn, lui avait-elle dit sur un ton dur, et ce retard… où devait-il l’amener ? — Au premier regard, Didenn avait rougi : ils étaient trahis dans leur amour. — Vois : ce soir, on te fiance… » Il n’était pas encore revenu de sa surprise qu’il apercevait la grande cour de mosaïques bleues toute illuminée, pleine de parents et d’amis en costumes de fête. La fumée des torches saisissait à la gorge… De toutes les poitrines partait un concert de you-you qui faisait trembler les vitraux… Dès le seuil, une vieille femme, — l’entremetteuse, — venait prendre Didenn par la main et l’attirait vers la corbeille des fiançailles : Et maintenant, prononçait-elle en le fixant de ses yeux de vieille fouine, prends ce diadème et dépose-le au milieu des autres objets, et dis : Avec mon cœur et la bénédiction d’Allah !… C’en élait fait. Les you-you éclatèrent de plus belle. Dadda souleva la corbeille sacrée sur sa tête, et tout le cortège à sa suite s’en alla, chantant par les rues de Tlemcen les joyeuses chansons du mariage, jusqu’à la colline d’en face où habitaient les parents de la fiancée…

Minuit. La porte de la chambre où se trouve la mariée vient de s’ouvrir La camériste parait sur le seuil, un tambour de basque à la main :

— Venez, ô parents ! Venez, ô amies ! Venez voir notre fille ! Notre fille, nul ne l’a vue ! Notre fille est belle ! Notre fille est digne de l’alliance d’un Roi ! Notre fille est fille des Marabouts ! Venez voir notre fille !…

Les parents, les invités accourent à la chambrette. Les