Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et enfin le pape se rétracte, et, par une lettre douloureuse, il retire la signature qu’il a librement apposée à l’acte du 25 janvier. C’est un échec qui attire davantage l’attention sur les buts que poursuivait l’Empereur, et cet échec devient encore plus sensible lorsque, dans le cadre d’un salon de l’Elysée, en présence de quelques dignitaires et des dames de cour, l’Empereur fait donner lecture des lettres patentes par lesquelles il confère à l’Impératrice et Reine le titre de régente, « pour en exercer les fonctions, dit-il, en vertu de nos intentions et de nos ordres, tels que nous les aurons fait transcrire sur le livre de l’Etat ; » et lorsque l’Impératrice prête debout un tout petit serment, un serment qui n’a rien de l’apparat majestueux du serment constitutionnel, et qui pourtant ne saurait être différent, étant donnés les temps, les lieux et l’assistance.

Comment donc assurer la durée de son œuvre et sa perpétuation ? Comment obtenir une certitude au sujet de la transmission du trône ? Ne doit-on pas penser que, dès lors, il va chercher, dans la bataille, des périls qui ne devraient point être pour lui ; lorsque, se jetant au fort du feu, il y ramène des petits soldats qui savent à peine charger un fusil et qui tout de même se battent comme des grenadiers ? N’a-t-il pas pensé que, pour consacrer les fondements de l’édifice, il manque une volontaire immolation ? Que, à l’Impératrice régente, fille de la Sacrée Majesté Apostolique, l’Autriche tout de même se tiendrait obligée de porter aide ? Que, fût-ce sur le cadavre de Napoléon Ier, Napoléon II monterait au trône et que, devant la mère du nouvel Empereur, l’Europe abaisserait les armes, et retirerait ses malédictions ?... On ne saurait expliquer d’une autre façon sa conduite durant la campagne de 1813 et la campagne de 1814. Et le point de départ de toutes ces pensées et de tous ces actes, c’est le coup d’audace de cet homme qui, sur une fausse nouvelle proclamée par trois travestis, s’est emparé de la grande moitié de Paris, sans que nul ait pensé à répondre à son : « L’Empereur est mort ! » par un « Vive l’Empereur ! »

Ce jour-là, la foi de Napoléon en la durée de son œuvre a été profondément atteinte : il a cherché des remèdes dont aucun ne s’est trouvé efficace, et, de ce jour, tourment sans pareil, le Maître de l’Heure a éprouvé à tout instant l’incertitude de la durée.


FRÉDÉRIC MASSON.