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aisée et d’humeur guerrière, disons, — car c’est un devoir de l’affirmer, — qu’elle n’eût pas enlevé la victoire, si elle n’avait été entre les mains de très grands chefs.

En cette étude, tous ont paru à leur place. Pétain d’abord qui n’est point seulement le chef qui, un jour, s’est penché sur le cœur du soldat, Pétain qui est aussi le soldat réfléchi et organisateur, l’homme qui entend s’éclairer avant d’ordonner, poser avant de conclure, ménager les vies et les ressources tant qu’il importe d’assurer l’avenir, mais qui, soudain, quand la victoire est proche, et se sentant enfin affranchi de ce souci, saura, — c’est le 27 octobre, — crier à ses lieutenants : « Poussez hardiment. » C’était grâce à sa prudence opportune que, saignée par plus de trois années de combats, l’armée française, ménagée par lui, s’était trouvée en mesure, matériellement comme moralement, de supporter le choc. Ce que, de Provins, Jeanne d’Arc écrivait, le 6 août 1429, aux Rémois : « Je maintiendrai et tiendrai l’armée royale bien unie et toute prête, » de ce même Provins, son Quartier général, Pétain a pu souvent adresser à Foch la même promesse assurée. Son armée était « bien unie et toute prête, » quand, le 22 mars, à l’appel imprévu du maréchal Haig, il la précipitait en moins de quarante-huit heures sur le champ de bataille en péril, quand, distribuant les réserves que, sagement, il avait constituées, il jetait à un Fayolle les premières instructions d’où allait sortir le rétablissement provisoire de la bataille compromise.

Tel je l’avais vu alors, en son poste de commandement de Compiègne, calme jusqu’à être souriant, maîtrisant une âme pleine d’émoi pour opposer aux mauvaises nouvelles un front de marbre, tel il devait rester dans les mauvaises comme dans les bonnes heures.

Plein d’une abnégation faite de raison autant que de vertu, il avait aspiré à se subordonner. Mais restant à sa place nouvelle, — encore si éminente, — de haut lieutenant d’un grand maître, il grandissait encore ce poste par cette valeur appliquée qui lui est propre, toujours prêt à fournir à la bataille ce que la bataille exigeait, résolu à donner sans ambages, au nom de sa mission, des avertissements, des avis et des conseils, plus résolu encore à entrer pour le bien du pays dans les vues d’un grand chef, à y collaborer avec son cœur autant qu’avec sa tête