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nouvelle tentative pour élargir à l’Est la poche qu’il n’avait pu le 9 juin élargir à l’Ouest, déconfit et rejeté en mauvais arroi par une de nos armées, l’Allemand s’était, sur le front d’une autre armée française, engagé plus avant dans la poche fatale : ayant franchi la Marne, — fleuve funeste à sa fortune, — il restait ainsi aventuré quand, d’un coup imprévu de lui, il fut frappé au défaut que de son œil perçant le général en chef allié avait aperçu. Obligée, au risque d’un mortel péril, de rétrograder, l’armée allemande s’y résigna, mais dès lors la bataille était renversée ; suivant l’expression d’un grand chef anglais, cette victoire française du Soissonnais « marquait le tournant de la campagne. »

Ressaisissant l’initiative, le Haut Commandement allié allait manœuvrer l’adversaire et faire succéder aux victoires de l’offensive allemande celles de notre contre-offensive. En deux mois, du 18 juillet au 22 septembre, cette contre-offensive avait non seulement reconquis le terrain perdu depuis le 21 mars par les armées de l’Entente et ramené l’ennemi à son point de départ, mais, par la réduction de la hernie de Saint-Mihiel, permis à la grande manœuvre d’enveloppement de se préparer sans être par rien gênée dans son envergure.

L’armée allemande avait dans l’aventure perdu au bas mot un demi-million d’hommes et un matériel énorme. De ce chef, tout espoir de réaction victorieuse lui était interdit pour l’année qui s’avançait. Son moral, sans s’affaisser, baissait étrangement, — et, de l’aveu de ses chefs, sa « force combative. » Mais une dernière espérance restait à son Etat-major. Rejetée de ses conquêtes de printemps 1918, elle l’était sur les formidables positions dont elle avait, depuis trois ans et plus, enserré ses adversaires et qui semblaient river l’invasion au flanc de la France. Cantonnés en ce rempart tenu pour « imprenable, » les Allemands pouvaient penser qu’on n’oserait les y attaquer ou qu’attaqués, ils sauraient repousser l’assaut. Dès lors, sans être sauvés, car cette fois le temps travaillait contre eux, ils pourraient se réorganiser, peut-être se renforcer assez pour que l’année 1919 imposât à la lassitude de l’adversaire une paix qui fût au moins sans déshonneur pour eux.

Leur dessein était facilement pénétrable. Le grand chef qui menait la bataille entendit le déjouer. Il savait qu’aucune muraille ne résiste à une armée victorieuse qui y vient relancer