Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portaient encore en leurs sacs le fruit des dernières rapines. Ils étaient si pressés, que parfois ils oubliaient les projets arrêtés d’incendie et de ravage. Il leur fallait se presser, en effet ; car les armées alliées menaçaient non seulement leurs derrières, mais leurs masses mêmes. « Pendant toute la journée (du 5), écrit froidement le maréchal Haig, les routes encombrées de troupes et de convois ennemis offrirent d’excellents objectifs à nos aviateurs qui en profitèrent amplement, malgré le temps défavorable. Plus de 30 canons que l’ennemi avait dû abandonner sous les coups de nos bombardiers et de nos mitrailleurs aériens, furent recueillis par un bataillon de la 23e division dans le champ environnant le Préseau. » Les mêmes scènes se produisaient partout. Notre aviation faisait merveille. La division aérienne marchait fort en avant de notre ligne en mouvement. Maintenant rompue à toutes ses missions, elle dénonçait les mouvements de l’ennemi, bombardait les routes qu’il allait aborder, mitraillait au sol les troupes déjà affolées. Dès le 29 octobre, un homme du 5e régiment de la Garde avait écrit que les avions français avaient « anéanti toute sa division. » En un seul jour, 65 000 kilogs d’explosif étaient déversés sur l’ennemi en fuite et tirées près de 30 000 cartouches. « Malgré les conditions atmosphériques les plus défavorables : nuages bas, pluie et très fort vent, écrit-on le 5 novembre, les avions volant bas, souvent à 50 mètres, rapportent de nombreux renseignements très précis et attaquent à la mitrailleuse convois, voitures, colonnes d’infanterie et batteries d’artillerie. » Le 7 novembre, un rapport signale que sur les routes coupées par les bombes, au milieu de « nombreux attelages littéralement anéantis, » on aperçoit « nettement les traînées régulières des bombes d’avions. » L’aviation ennemie semblant depuis un mois avoir disparu (la nôtre l’avait en partie détruite), rien ne protégeait plus les Allemands en retraite contre les coups qui du ciel pleuvaient sur eux. Menacés de toutes parts, ces misérables fuyaient, parfois éperdus : des troupes, sous l’attaque des aviateurs, tourbillonnaient ; des régiments se rendirent. On cueillait des milliers de prisonniers ahuris. Certains officiers nourris d’histoire évoquaient les beaux jours de 1806, la poursuite des Prussiens après Iéna et leur âme s’enflammait à ces souvenirs. Enfin, on les avait !

La poursuite continua, le 7 et le 8, dans les mêmes conditions.