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soir du 6, il arrivait à 6 kilomètres de la ville, son front atteignant Floyon-Marquaix-Aulnoy. L’armée Byng, cependant, poussait en direction de Maubeuge dans la vallée de la Sambre, tandis que Horne essayait de progresser vers Mons. Mais l’ennemi, en retraite jusqu’au Nord d’Avesnes, tentait de résister en avant de ces deux régions. La 3e armée, ayant avancé de quelques kilomètres à l’Est de la forêt de Mormal, se heurtait, le 6, à la dernière défense allemande. La 1re (Horne) ayant, avec la crête à l’Est de l’Aunelle, enlevé Roisin, Maurain et Angreau, fut arrêtée devant Angre et devant la Honnelle. Le 6, la résistance s’accentuait. Angre fut cependant enlevé et la Honnelle franchie. On était à deux lieues des faubourgs de Maubeuge.


Il faut se figurer cette énorme marche circulaire qui, en ces deux jours, dessinait à travers la France du Nord-Est comme une gigantesque faux emmanchée sur la Meuse et s’effilant vers le Nord : à travers les plateaux et les ravins, les rivières et les monts, les plaines et les vallées, les bois et les champs, cette formidable faux s’avançait menaçante, impitoyable à l’ennemi en fuite. Rien ne l’arrêtait, ni les résistances locales promptement écrasées, ni le temps qui, devenu affreux, eût pu favoriser la retraite des Allemands. Vent, pluie, neige fondue, chemins boueux, terres détrempées, qu’est-ce pour des soldats que pénètre le sentiment de la victoire et que soulève la conscience d’une admirable mission ? « Nos populations délivrées vous acclament et la chère Patrie, bientôt libérée, écarte ses voiles de deuil pour nous montrer à nouveau son fier et joyeux sourire, » disait, le 6 au soir, Debeney à ses soldats. Partout on trouvait, dans les villes et les villages meusiens, ardennais, champenois, picards, des malheureux qui, délivrés, accueillaient, suffoqués de larmes ou exaltés d’enthousiasme, les troupes libératrices. Quel chemin eût paru trop boueux, quelle bise trop forte quand de tel réconforts nous étaient offerts ?

Cependant, devant nous, par des chemins tout pareils, mais qui, à ces vaincus en retraite, devaient paraître mille fois pires, sous la pluie, dans la boue, l’énorme armée grise s’écoulait. Elle commençait à abandonner armes plus que bagages, car on capturait souvent des hommes qui, ayant jeté fusils et baïonnettes,