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cette législation est la suivante : la Russie est censée avoir franchi, au moment de l’avènement de Lénine, la limite qui sépare le régime capitaliste du régime socialiste. Tout doit être en conséquence subordonné à l’idée de la nationalisation immédiate des moyens de production et du mécanisme de la distribution. Les décrets s’exercent à tirer les conséquences logiques de cette formule abstraite. On s’est demandé, par exemple, si dans une « commune » il devait y avoir des banques privées ; on a répondu, en bonne logique, que le communisme n’admettait point leur existence. Un décret a alors été édicté qui a nationalisé les banques avec leur actif et leur passif. Personne ne se préoccupa des conséquences pratiques qui devaient résulter de cette nationalisation. La doctrine le prescrit et cela suffit. C’est une législation facile : on ne s’y heurte à aucune difficulté et on peut l’appliquer à toute espèce de questions sociales. Périssent les colonies, vivent les principes !

Mais ensuite est venue l’application. Les bolcheviks au petit pied ont envoyé des « gardes rouges » s’emparer des banques ; on a fait peindre de nouvelles enseignes indiquant que telle banque privée n’est plus qu’une « section » de la Banque nationale unique, et on a placé un « commissaire » plus ou moins malhonnête à la tête de cette « section. » Il vole autant qu’il peut, jusqu’à ce qu’on s’en aperçoive. On le renvoie alors et on le remplace par un autre. A force de changer, on arrive à avoir un commissaire qu’on ne peut plus saisir en flagrant délit et on est satisfait. Mais la « section » de la Banque nationale ne marche plus ; elle est morte. Après la nationalisation des avoirs des clients, personne, et les nouveaux riches du régime bolchéviste encore moins que les autres, n’a été assez naïf pour porter son argent à la Banque. On le garde à domicile, au risque même d’être dévalisé par des cambrioleurs, on le cache sous le papier des murs, ou dans des trous qu’on fait dans le plancher. La Banque est nationalisée, mais elle n’existe plus. Il paraîtrait pratique de supprimer la « section, » mais on s’en garde bien, et cela pour deux raisons. En premier lieu, la doctrine communiste prescrit la nationalisation, et Lénine ne s’en désistera jamais ; ensuite, le bolchevik commissaire de la « section, » est intéressé à conserver les appointements qu’il touche et les occasions de vol qui lui sont offertes, et il a assez d’influence pour pouvoir s’opposer