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par contre-coup, des tendances révolutionnaires violentes. Le manque d’éducation politique et nationale du peuple, résultat du monopole que l’autocratie s’attribuait dans la chose publique, joint à cette absence du sentiment de juste milieu, qui caractérise le Slave, entacha le mouvement révolutionnaire russe de certains vices originels dont il ne put longtemps se défaire. Les meneurs du mouvement confondaient la haine contre le gouvernement avec la haine contre la Russie, arrivant ainsi à la négation absolue de l’idée de patrie et à un internationalisme excluant toute notion d’un patrimoine historique et national. La lecture des œuvres de Karl Marx, déclarées livre de la loi, fortifiait ces tendances antinationales : la révolution sociale imminente supprimerait toutes les vieilles formes politiques, toutes les distinctions historiques entre différents états et leur substituerait le règne de la classe ouvrière internationale.

La part très active que prirent au mouvement, dès ses débuts, plusieurs étudiants israélites, représentants de l’élément de la population russe qui a le plus souffert sous l’autocratie et qui, en conséquence, devait haïr l’ancien régime, accentuait le caractère aigu et vindicatif de la lutte entreprise qui, autrement, aurait été peut-être moins violente.

Le groupe des « social-démocrates » russes de la première heure, noyau du futur bolchévisme, était peu nombreux, mais toujours très actif. La bataille engagée sur le terrain des idées prit assez vite le caractère d’une propagande active dans les milieux ouvriers. La police de l’ancien régime sévit : Lénine et la majorité des autres membres du groupe furent envoyés en Sibérie. Mais, sous l’ancien régime, un révolutionnaire s’évadait facilement à l’étranger ; la peine de mort était rarement appliquée ; la honte d’en avoir fait une arme politique journalière retombe entièrement sur les bolcheviks. Or, après 1900, tous les membres du groupe des social-démocrates russes se trouvèrent à l’étranger. L’atmosphère ambiante d’un exode politique est toujours et partout la même. Une lutte acharnée à l’intérieur du groupe des réfugiés ne manqua pas de se produire, et c’est au cours de cette lutte que Lénine arriva à former un petit noyau d’adeptes fervents qui, sous le nom de « bolchévikis, » constituèrent la gauche de la social-démocratie militante.