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de connaître le bolchévisme russe tel qu’il est ; le seul moyen d’y arriver, c’est de s’appliquer à l’étude de l’ensemble des faits constituant la crise de 1917-1919 a l’aide d’une méthode d’observation historique objective.


I

Dans la Russie de l’ancien régime, la tradition voulait que les étudiants des universités fussent plus ou moins « révolutionnaires. » Depuis le commencement du règne d’Alexandre II, des générations d’étudiants se succédaient aux universités qui fondaient leur activité révolutionnaire sur des aspirations vaguement socialistes. Longtemps l’on s’attacha à une doctrine autochtone, créée par Alexandre Herzen, et qui visait au perfectionnement et à la généralisation de l’ancien communisme agraire des paysans russes, connu à l’étranger sous le nom de « Mir. » Mais le mouvement socialiste russe changea radicalement d’aspect vers 1895. Un groupe d’étudiants déclara rejeter ce qu’il y avait de particulier à la Russie dans la tradition socialiste russe. Il pensait que le développement économique de la Russie ne pouvait suivre un autre cours que celui des pays occidentaux, et que, par conséquent, il était temps d’accepter intégralement les idées de Karl Marx sur l’évolution socialiste. C’est à ce moment, et précisément sous le drapeau du marxisme international, que les bolcheviks apparaissent sur la scène historique russe. Lénine est un des chefs les plus en vue du « marxisme » russe naissant, à côté de Pierre Struve, actuellement un des représentants les plus ardents du mouvement antibolchéviste, et de beaucoup d’autres.

La nouvelle école, tout en renonçant aux idées de ses prédécesseurs et tout en proclamant la philosophie, dite scientifique, de l’évolution nécessaire de la société, n’en hérita pas moins le fond de traditions purement révolutionnaires des générations précédentes. L’ancien régime russe avait ameuté contre lui les « intellectuels » et, en premier lieu, la jeunesse des écoles ; et, il faut l’avouer, la lutte acharnée qu’il soutenait, avant la première révolution et même après, aussi bien contre le mouvement des classes supérieures qualifié de « libéral » que contre les plus modestes et les plus légitimes aspirations des ouvriers et des paysans, ne pouvait manquer de provoquer,