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REVUE LITTÉRAIRE

CONTEURS NOUVEAUX [1]

Nous avons d’habiles conteurs, qui ont retrouvé l’art du récit rapide et attrayant par lui-même. Ce n’est pas un art tout neuf, mais le premier effort de la littérature en tous pays. Ce n’est pas non plus l’art où nos meilleurs écrivains étaient récemment le plus adroits. Certains romanciers manquaient de vivacité. Ce qui les retardait valait, du reste, quelquefois, que le lecteur fût patient : c’était, pour ainsi dire, la pensée. Ils voulaient que le roman ne servît point au seul divertissement des personnes frivoles et traitât les plus hautes questions de morale, de philosophie, de sociologie, de religion, de médecine, enfin les problèmes qu’en d’autres temps on laisse à la compétence des spécialistes. Ce n’est pas une ambition médiocre ; et tels de ces romans, qui sont à peine des romans, sont de beaux livres en tout cas. Le réalisme aussi eut pour effet de rendre le roman plus grave. Si l’on emprunte à la réalité les éléments d’un récit plaisant, tout va bien ; et si l’on a joliment fait son choix dans la réalité, c’est à merveille. Mais, si l’on a résolu de peindre la réalité avec une exactitude méticuleuse, on n’en finit pas ; si l’on copie, d’une manière scientifique, tout le détail, il faut un lecteur qui ait du loisir. Par les soins du réalisme, le roman tournait à l’histoire, ou à l’histoire naturelle ; et tournait à ressembler aux études les plus attristantes ; et

  1. Victor et ses amis, Celles qui les attendent, Douze aventures sentimentales, par Frédéric Boutet (Flammarion) ; du même auteur, La lanterne rouge (l’Edition), L’homme sauvage et Julius Pingouin (Juven), etc. — Edgar, par Henri Duvernois (Flammarion) ; du même auteur, Faubourg Montmartre, Le roseau de fer (même librairie) ; Fifinoiseau, Le chien qui parle (Fayard), etc. — Les silences du colonel Bramble et Ni ange, ni bête, par André Maurois (Grasset).