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nous l’avons vu, alléguer, et objecter aux religieuses réfractaires la soumission « unanime » de tous les évêques de France : — pouvait-il, à la fin de cet été de 1665, à la date où probablement il la rédige définitivement, maintenir cet argument écroulé ?

Et cela déjà lui devait être une forte raison de ne pas remettre sa lettre.

Mais, en outre, à Port-Royal, que se passait-il ? Que se passait-il, notamment, dans ce Port-Royal-des-Champs, où, le 3 juillet 1665, les religieuses internées dans divers monastères, furent de nouveau réunies par le Gouvernement, décidé cette fois à en finir en bloc, puisque la dispersion n’avait pas brisé la résistance ?

Le 16 et le 28 août, le couvent ainsi reconstitué écrit à l’archevêque de Paris deux lettres dernières, où son insubordination, se dégageant des timidités du début, rejetant tous les faux-fuyants de la veille, s’étend, s’approfondit, et s’élève aux hardiesses suprêmes [1]. Ecoutons ces ultima verba.

Qu’on ne pense pas qu’elles agissent sans se rendre compte, et dans cette pénombre où la volonté est agie plutôt qu’elle n’agit. Elles savent ce qu’elles font. Elles savent qu’elles se dressent, à présent, non plus contre les Evêques, l’Assemblée du clergé, les ministres, le Roi, mais en face du Pape lui-même. Cela est vrai, et en cela il n’y a rien qui les étonne. L’Église d’ici-bas n’est pas arrivée à cet heureux état où elle n’aura plus besoin d’aucune lumière empruntée. Sa foi est obscure, sa raison est faillible, « et donc il n’y a aucun sujet de se scandaliser de voir arriver dans l’Eglise qu’on y condamne des personnes qui ne sont point coupables, et que des guides et conducteurs de l’Eglise, marchant dans la nuit, ne reconnaissent pas quelquefois ses propres enfants et les prennent pour des étrangers. » Le jour du discernement, le jour de Dieu viendra, après le jour des Princes des Prêtres et du Pape.

  1. « Acte des Religieuses de Port Royal du 16 août 1665, contenant un examen de leurs dispositions touchant la signature du Formulaire, où elles font voir qu’elles n’ont aucune raison de douter que leur refus ne soit légitime... fait en notre monastère de Port-Royal-des-Champs, relu et signé de nos seings, signé dans l’original de la Mère Abbesse et de toutes les Religieuses au nombre de 64, et encore de quatre autres qui sont venues depuis et de deux les dernières venues ; » — « Acte... du 28 août 1665, contenant leurs dispositions à la vie et à la mort, et leurs sentiments en cas de refus des sacrements à la mort. » Relations de Port Royal (recueil Augustin Gazier, pièce 11.)