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emporter cette signature, l’archevêque Péréfixe lui délivra un billet lui certifiant « que la signature » ordonnée « n’était point un témoignage ni un jugement rendu par elle sur la doctrine de Jansénius, et que, s’il y avait du mal à cette signature, il le prenait volontiers sur lui. » Et il est également vrai qu’elle se rétracta l’année suivante. Pourquoi avait-elle fléchi ? Faut-il admettre que, frêle de santé, tendre, « trop humaine, » la jeune femme ne put supporter d’être séparée de ses sœurs, de n’en avoir point de nouvelles dans cette vie errante et captive ? Faut-il croire au contraire que le bon billet de l’archevêque illumina subitement son esprit inentamé par les beaux raisonnements de Bossuet ? Ou bien ne peut-on pas se demander si l’intéressée, rédigeant ensuite sa propre histoire, ne l’a pas inconsciemment, présentée « au mieux » des intérêts de la cause, sinon de la vérité, et même peut-être au mieux de ses intérêts propres ? Les saintes sont femmes ; les femmes du XVIIe siècle ont de la « gloire ; » il y en avait plus à paraître avoir fait sa capitulation spéciale et rendu son épée à un archevêque sur des assurances formelles, avec des clauses de faveur, que de s’être laissé vaincre comme d’autres par un théologien beau parleur. Il n’est pas tout à fait impossible que la nièce de la mère Angélique, porteuse et comptable d’un grand nom, tentée de romancer quelque peu la psychologie de sa chute, ait été amenée ainsi à réduire à néant la part du « convertisseur » qu’elle avoue elle-même « embarrassant. »


II. — LA LETTRE DE BOSSUET AUX RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL

Ce fut vraisemblablement, soit dans la fin de l’année 1664, soit dans l’été de 1665 (les éditeurs de la Correspondance supposent après le 3 juillet), que fut écrite par Bossuet cette célèbre Lettre à la Révérende mère abbesse et Religieuses de Port-Royal, à laquelle, quarante-cinq ans après, la continuation de la lutte religieuse devait donner un regain d’intérêt. En 1709, au plus vif de la nouvelle bataille entre ultramontains et gallicans, jansénistes et jésuites, le cardinal Louis-Antoine de Noailles l’imprima, pour justifier, par l’autorité posthume de Bossuet, ses rigueurs envers les religieuses toujours rebelles. Mais à cette date, ce qu’on édita, ce fut un remaniement préparé par Bossuet vers 1703, peu de temps avant sa mort, dans des circonstances