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gênaient pour exercer une dictature militaire et devenir, de simple général, une manière de héros national et le maître de l’Empire.

Hindenburg fatigué n’a été entre ses mains qu’un fétiche, le Kaiser qu’un instrument. Ludendorff, sentant la responsabilité qui l’accable, a entrepris de se justifier. Son livre, dévoré par ses concitoyens qui espéraient y trouver des explications réconfortantes, ne leur a rien appris. En regard de ce plaidoyer il faut lire les accusations portées contre le duumvirat Hindenburg-Ludendorff par le rival que ces deux hommes avaient évincé en 1916, le général de Falkenhayn. Celui-là aussi cherche à se disculper de ses erreurs stratégiques, dans son volume sur le commandement suprême de 1914 à 1916. Toutes ces apologies ne servent qu’à dévoiler les dissensions dont était travaillée cette direction unique des opérations militaires, qu’on exaltait à l’étranger comme la principale ouvrière des succès allemands.

Pour lutter contre ces impitoyables ambitieux, l’Allemagne était totalement dépourvue d’hommes d’Etat. Que dire de Bethmann-Hollweg, de sa faiblesse, de son manque d’autorité autant que de prestige, qu’on ne sache depuis longtemps ? Jagow n’a été qu’un comparse chargé d’un rôle au-dessus de ses moyens. Il avait affirmé aux ambassadeurs de l’Entente qu’il n’avait pas eu connaissance de l’ultimatum autrichien à la Serbie. Il avoue aujourd’hui dans un livre où il ne fait qu’épousseter de vieux arguments qu’il avait lu cet ultimatum et l’avait trouvé trop dur. Le voilà pris en flagrant délit de mensonge. Hertling arrivait de Munich avec la réputation d’un homme habile et expérimenté. Le haut commandement l’a traité comme un jouet, et, vis-à-vis de l’Entente comme vis-à-vis du Reichstag, ce profond politique n’a usé que de finasseries qui l’ont vite discrédité.

Les illusions dont s’était bercé le peuple allemand n’ont pas été dissipées par l’armistice. On lui répétait à satiété que l’armée n’avait pas été vaincue, qu’elle avait été mise hors de combat par la révolution, fille elle-même de la misère et de la disette. Aussi l’armée a-t-elle été accueillie à Berlin en triomphatrice. L’impression déprimante causée par l’armistice fut, d’ailleurs, de courte durée. Plus de combats, plus de sang, plus de tranchées ! On respirait enfin, on goûtait la joie de vivre, on recommençait à danser, car on s’imaginait une paix conclue sur un