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crut la victoire impossible. La vraie raison de ce désir, c’est qu’elle se sentait battue ; on vient de voir qu’elle eut ce sentiment de très bonne heure. Ludendorff lui-même en laisse l’aveu lui échapper quelque part : « Notre malheur, écrit-il, ce fut de n’avoir réussi ni à l’Est, ni à l’Ouest, pendant toute la guerre, une grande percée stratégique, conduite à bonne fin avec toutes ses conséquences. » Il n’y a pas d’autre raison de la défaite allemande. L’Allemagne n’a jamais pu remporter une victoire complète. Elle espéra-encore le faire en 1918. Un « hasard inouï, » un de ces accidents sur lesquels « on ne peut jamais compter, » lui remit en main toutes les chances. Elles n’aboutirent cette fois encore qu’à de nouvelles déceptions. A ce moment, l’armée allemande était perdue. Ludendorff pouvait peut-être la sauver d’un désastre par une retraite faite à temps ; il acheva de la ruiner par une résistance stérile. Dans ces conditions, qu’attendre de la guerre ? Ludendorff voulait encore tenter la fortune. J’ai dit qu’il était joueur. Une de ses expressions favorites, dans tous ses exposés de manœuvres, est : « C’était un risque à courir, » « une chose à prendre dans le marché. » Il fut lui-même jusqu’au bout. Toutes les chances de l’Allemagne, il les avait mises sur la guerre. Il était l’homme de la guerre. Il a joué la partie, avec quelle détermination, quelle rudesse, quelle féroce absence de scrupules, on le sait. Il l’a jouée, et il l’a perdue. Il devrait se montrer beau joueur.


LOUIS GILLET.