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sur le fait, dans cette triple tentative, le principe même de l’échec fatal auquel elle était condamnée : l’incompréhensible abandon de la marche sur Amiens, la recherche de la surprise et du coup de théâtre, et enfin l’obligation, après chaque succès, de retirer la troupe du combat, pour la reconstituer et remonter la machine. Peut-être l’état de l’armée allemande ne permettait-il pas de faire mieux. Mais il est évident que la répétition de cette manœuvre toujours la même, ne pouvait qu’user l’instrument, et qu’à la troisième fois l’ennemi, pour peu qu’on lui fit crédit de quelque intelligence, devrait avoir trouvé la parade. Le puissant tacticien de la bataille du 21 mars fit preuve en cette occasion d’une stratégie fort médiocre. La supériorité du nombre le rendit redoutable, mais il gaspilla cet avantage au lieu d’en profiter pour redoubler ses coups. Au lieu de poursuivre l’armée anglaise et d’achever de l’anéantir, il crut mieux faire de se rouvrir la route de Paris. Il ne réussit qu’à se loger dans des « poches » successives qui absorbèrent ses effectifs, où il prêtait le flanc de toutes parts, et où un ennemi actif ne pouvait manquer la première occasion de l’étrangler. On sent bien que Ludendorff a compris, en écrivant, qu’il avait accumulé les fautes. A travers tous ces épisodes, on le voit revenir toujours à son projet d’attaque dans les Flandres, pour s’emparer des ports de la côte, comme à son idée fixe. C’était la vérité militaire ; mais il n’était déjà plus libre d’y revenir. Le lendemain du désastre du Kronprinz en Champagne, il était dans le Nord, au quartier général du prince de Bavière, pour s’occuper de l’attaque de la crête des Flandres. C’est là qu’il apprit, le 18 juillet, à midi, que le front de l’armée von Boehn était totalement crevé entre la Marne et l’Aisne, devant la forêt de Villers-Cotterets. Il quitta précipitamment le prince : il ne devait plus le revoir. La situation, une fois de plus, se trouvait retournée. Les dés lui échappaient. C’est Foch qui désormais reprenait la partie.

Il aperçut bien tout de suite que celui-ci entendait vider la poche de la Marne, et il s’apprêta aussitôt à préparer sa retraite en faisant belle contenance. Il fallut quinze longs jours de combats pour se rabattre sur la Vesle. Mais il ne comprit pas encore à quel point il était vaincu : il n’avait pas mesuré l’énergie de son adversaire et l’étendue illimitée de sa détermination. Il ne vit pas qu’il avait affaire à une volonté plus puissante même