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rejetant mutuellement leurs fautes à la tête, et se reprochant aigrement leurs erreurs et leurs maladresses. Peu nous importe. Ce sont querelles de vaincus.


On devine aisément, d’après ce qui précède, qu’il n’y a dans ce livre presque aucune place pour l’anecdote et les souvenirs personnels. Ce qui intéresserait le plus notre curiosité, la psychologie particulière de chacun des acteurs, de l’immense tragédie, la manière d’être de chacun d’eux, est un élément presque absent de ce livre de Mémoires. Ce que nous cherchons avant tout dans un ouvrage de ce genre, des portraits, des jugements sur la vie et les hommes, en est totalement exclu. On voudrait savoir ce que pense Ludendorff sur les principaux personnages qu’il a connus, quelle idée il se fait de leur caractère et de leurs actes, comment il apprécie ses amis et surtout ses adversaires. On aimerait à l’entendre exprimer son opinion sur un Foch, sur un Broussiloff, sur un Douglas Haig, et on s’étonne de voir que ces grands noms sont à peine mentionnés. Pétain n’est nommé qu’une fois ; Joffre pas une seule — ce qui s’explique à la rigueur, puisque Ludendorff ne l’a jamais eu directement pour adversaire. — Mais l’absence complète de jugement sur de pareils hommes n’en est pas moins un trait singulier de son esprit. Peut-être explique-t-elle en partie l’échec final de sa stratégie.

Ludendorff se vante quelque part de connaître les hommes. A le lire, il n’y parait guère. Pas une fois nous ne le voyons essayer de comprendre son adversaire, ni tenter de se représenter sa manière probable de réagir. On a là, si l’on y prend garde, le principe de ces lourdes erreurs qui n’ont cessé, pendant toute la guerre, tantôt au sujet des bombardements aériens et tantôt au sujet des attaques sous-marines, d’attirer à l’Allemagne les pires déconvenues. C’est la raison même de ces attaques montées a priori, sans tenir compte de l’adversaire, qu’elles suppriment par abstraction, et comme s’il s’agissait d’une machine devant fonctionner dans le vide. Ces attaques ont produit des effets redoutables : elles ont toutes échoué devant des réalités qu’elles avaient méconnues.

Et en dépit de ses prétentions à « connaître les hommes, » nous ne trouverons pas davantage dans les Mémoires de Ludendorff