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La grande erreur, qu’on commit au début de l’occupation de l’Alsace et de la Lorraine, fut de vouloir les gouverner de Paris, avec des méthodes purement françaises. Les provinces reconquises auraient dû, d’abord, de toute nécessité, être placées sous une administration locale. Or, c’est un bureau civil du ministère de la guerre qui en prit la direction et qui fit le choix des premiers fonctionnaires, sans s’être tout d’abord préparé à sa mission. Surpris par les événements, qui s’étaient précipités, M. Jeanneney dut se livrer en hâte à un travail d’improvisation, dont le mieux qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas heureux.

Je m’abstiendrai de juger les personnes. Le système lui-même était défectueux. Attributions mal définies de fonctionnaires mi-civils, mi-militaires, choisis au hasard, superposition au haut-commissariat d’un office d’Alsace-Lorraine qui ne pouvait prendre aucune décision sans en référer au cabinet du ministre, lenteurs résultant du fonctionnement de cet appareil compliqué, crainte des responsabilités à tous les étages de la maison, tout devait contribuer à créer le désordre dans les provinces retrouvées.

Comment avait-on pu supposer qu’un haut-commissaire sans pouvoirs, dépendant d’un ministre sans compétence, pourrait maintenir l’ordre et la discipline dans un pays qu’il ne connaissait pas ? On prête à M. Maringer le propos suivant : « Jusqu’ici tout était verboten, maintenant tout est permis. » Conception enfantine d’une mission particulièrement ardue et délicate.

Dieu me garde de récriminer ! J’explique simplement pourquoi mes compatriotes, qui étaient venus le cœur débordant d’enthousiasme à la France, éprouvèrent une pénible surprise quand ils virent à l’œuvre ses premiers représentants. Ceux-ci commirent encore une faute grave en maintenant d’abord, un trop grand nombre de fonctionnaires allemands dans leurs emplois. Les Alsaciens-Lorrains, qui étaient surtout heureux d’être débarrassés de ceux qui les avaient tant fait souffrir, ne comprirent pas qu’on leur imposât de continuer à obéir à leurs anciens maîtres. L’administration avait une excuse, mais qui ne faisait qu’aggraver son cas : elle n’avait rien prévu, pendant les derniers mois de la guerre, et, dès lors, elle ne disposait pas du personnel entraîné, qu’il lui eut été facile de recruter, si elle s’y était prise à temps, comme les Alsaciens et les