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Le 2 septembre, un soldat allemand (du 252e de réserve) écrit : « L’ennemi nous est supérieur en tout... ; je ne crois plus en notre victoire. » Et, à côté de celui-là qui « ne croit plus à la victoire, » un autre, du 149e régiment, a écrit, le 31 août, qu’il désirait la défaite : « Je désire que nous soyons rejetés jusqu’à la frontière. Alors Michel aura les dents moins longues et la paix sera proche. » En termes plus romantiques, un troisième a formulé le même vœu le 27 — et c’est un officier du 273e régiment de réserve : « J’ai l’impression que nous approchons de la fin à pas de géant... La bête atteinte de la folie des grandeurs sera bientôt obligée de se rendre devant la réalité toute nue. » Quelques lettres, qu’est-ce ? C’est cependant, — car ce sont là trois lettres, pour mille du même style qu’on pourrait citer, — l’aveu d’une démoralisation allant jusqu’à l’exaspération.

Foch n’a pas lu ces lettres ; mais il en devine facilement l’esprit, et d’ailleurs ses services de renseignements lui dépeignent l’armée allemande fondant lentement, mais sûrement, personnel et matériel. Déjà, le Haut Commandement a dû dissoudre des unités, diminuer le nombre des batteries dans certains régiments ou bataillons, comme le nombre des pièces de certaines batteries lourdes ; les réserves s’épuisent ; chaque combat mange à l’armée un nombre effrayant de divisions-. L’indiscipline, sans être encore générale, — il s’en faut, — distend cependant les rouages ou les fausse. Foch sait tout cela : « Tous les terrains sont franchissables, a-t-il jadis écrit, si on ne les défend à coups de fusil, c’est-à-dire avec des hommes vaillants et actifs [1]. » Il sait que, restant redoutable, la défense cependant s’affaiblit et se trouble. Il sait aussi que jamais nous n’avons été si forts, l’entente des gouvernements alliés si parfaite, si parfaite celle des chefs alliés, si parfaite celle du Maréchal commandant en chef avec son propre gouvernement. Les nations de l’Entente que la défaite n’avait pu abattre, n’étaient pas grisées par la victoire ; elles savaient que les combats deviendraient tous les jours plus durs ; c’était d’un cœur douloureux qu’elles enregistraient leurs deuils, — car le

  1. Des principes de la Guerre, p. 29.