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I

D’abord, pour le simple passant, artiste ou profane, rêveur épris de joies esthétiques ? « Je veux parler des vieux maitres qui dorment au Louvre, dit Jules Breton dans sa Vie d’un artiste. Leur tranquille et sûre gloire est sortie de nos vicissitudes et au milieu des préoccupations souvent vaines, qui excitent et fatiguent nos nerfs, il est bon d’aller les regarder et les interroger. Ce n’est jamais sans une respectueuse émotion que je franchis le seuil de notre musée. Je le connais presque par cœur, ce musée, et pourtant c’est presque à chaque visite un champ d’observations nouvelles... Un jour, je suis plus touché des ferveurs naïves des gothiques, un autre des fastes de la Renaissance où par les touchantes familiarités des Hollandais. Mais il y a, pour moi, quelques œuvres souveraines qui planent au-dessus de toute fluctuation d’esprit ou de sentiment. Ces chefs-d’œuvre d’élection, j’en ai fait ma constellation suprême au ciel de l’idéal... Au Louvre : la Sainte Anne de Léonard de Vinci, les Disciples d’Emmaüs de Rembrandt... » Voilà, naïvement exprimée, l’idée du Salon Carré. Il y a des œuvres qui, du consentement universel, dominent toutes les autres et qu’on aime à revoir avant toutes.

C’est ici la profession de foi d’un artiste poète, plus poète encore qu’artiste et plus dilettante que créateur. C’est le passant qui, traversant le Carrousel, sait trouver, là-haut, une oasis de la pensée et de la sensation, où toutes les vulgarités de la vie sont transposées en merveilles d’art, où le présent se tait, où le passé parle, où nulle beauté ne trompe, ne change, ni ne meurt. Il y entre comme dans une forêt merveilleuse et infiniment diverse, où c’est une joie de se perdre, une surprise de se retrouver. Pas un instant, il ne songe à faire de la botanique. Ni l’histoire, ni la nomenclature, ou le nom savant de ces merveilles ne l’inquiètent. Il ne cherche pas si telle chose est légitimement signée d’un maître dont la signature a de la valeur ; il n’en a pas à vendre. Il ne cherche pas si tel maître est destiné à monter dans l’opinion des amateurs : il ne saurait en acheter. Il ne s’indigne pas si le cartouche porte un nom discuté par la critique : il le regarde à peine et si, quand il revient, ce nom a changé, à peine s’il s’en aperçoit. Tout au plus, éprouve-t-il