Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si secondaire qu’elle paraisse aujourd’hui au regard des opérations qui avaient précédé et devaient suivre, cette bataille coûtait fort cher aux Alliés. L’avance de l’ennemi était de 18 kilomètres, elle avait pour conséquence de mettre sous ses canons les mines de Bruay — à cette heure où la question du charbon déjà était si angoissante ! — et un nouveau nœud de chemins de fer, celui d’Hazebrouck, d’entraver les transports de charbon par Béthune, de menacer enfin les ports du Pas-de-Calais et, partant, de contraindre l’Entente à immobiliser désormais pour les couvrir une partie de ses disponibilités. En fait, le bastion d’Ypres n’existait plus : les Anglais avaient dû abandonner tout le terrain conquis — au prix de quelles pertes ! — à l’été de 1917, et, par ailleurs, une poche de plus était creusée dans notre front qui, si l’ennemi attaquait en Artois, ne serait pas sans conséquence. Les plateaux au nord d’Arras constituaient maintenant un saillant considérable et dangereux résultant des deux enfoncements de mars et d’avril.

Mais la conséquence la plus grave était la situation que créaient à l’Armée française les événements des dernières semaines. Après avoir dû étendre son front jusqu’à la Somme, elle avait ensuite dû alimenter une bataille plus lointaine encore : dix de ses divisions, on en étaient revenues en lambeaux, ou restaient engagées au nord de la Lys ; le Détachement d’Armée du Nord absorbait par trois jours une division : les troupes qui en faisaient partie se trouvaient aventurées fort loin du front français proprement dit, — étant donné surtout les conditions compliquées du transport que créait l’abandon momentané de la grande ligne Paris-Amiens. La 10e armée française, d’autre part, se trouvait dans la région de Doullens, la 5e armée dans celle de Beauvais, en arrière des fronts d’Artois et de Picardie. Le général Pétain, qui suivait d’un œil inquiet le dégarnissement de son front, allait, le 6 mai, signaler que « les armées françaises étaient parvenues à la limite de leur effort en divisions à envoyer au nord de l’Oise. » Foch pouvait répondre en toute vérité que l’enjeu de la grande bataille du Nord entre la Mer et la Somme était de telle importance que, quels que fussent les inconvénients du dégarnissement de l’Est, ils étaient moindres que ne le serait éventuellement une percée