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Gaston Paris, pourtant si avisé. Telle était alors la crédule confiance que l’on accordait à la science allemande ! Les érudits allemands faisaient chez nous la pluie et le beau temps. Or, l’érudition n’est pas allemande. Elle est française, et non pas naturalisée française, mais née en France et de parents français. Nos bénédictins ont inventé l’érudition, la vraie. Ils ont eu les grands maîtres qui font les principales découvertes, qui organisent le travail et le dirigent sans faiblesse ; et ils ont eu les équipes laborieuses qui accomplissent les indispensables corvées. Eh ! bien, au milieu du siècle dernier, plus tard encore, nos érudits oubliaient tout cela pour se mettre, disaient-ils sans vergogne, à l’école de la science allemande. L’oubliaient-ils, ou préféraient-ils se dire les élèves de l’Allemagne plutôt que les élèves des religieux ?... Ils ont été des élèves dociles, jusqu’à la pire soumission quelquefois, et jusqu’à l’imprudence généralement. L’Allemagne avait emprunté à la France, — comme elle emprunte : et c’est pour confisquer, — l’érudition, qui nous est revenue marquée des défauts allemands, tarée d’une certaine déraison, puis secrètement tournée au service de l’Allemagne. Nos savants ne s’en sont point aperçus : car ils subissaient un prestige.

En outre, la théorie des origines populaires avait été bien adroitement combinée pour les séduire. Elle était, en quelque façon, républicaine et démocratique. Aux alentours de 1848, elle coïncida le mieux du monde avec la philosophie et la politique à la mode. On avait alors le goût de glorifier premièrement le Peuple et de lui attribuer toutes les vertus et tous les droits, le talent aussi et le génie universel, le génie de se gouverner lui-même : et comment lui refuser le génie de la création poétique ? Est-ce qu’il n’était pas le Peuple souverain ? Les autres souverains, les souverains d’ancien régime, sont volontiers les protecteurs des arts et de la littérature ; il leur damait, en quelque sorte, le pion : car il était lui-même les artistes et les poètes. L’on recherchait, l’on découvrait ou l’on inventait à l’envi les poètes paysans et les poètes ouvriers. On avait eu, l’on avait cru avoir, Magu, tisserand de Lisy-sur-Ourcq ; Reboul, de Nîmes ; Jasmin, d’Agen. Olinde Rodrigues publiait, sous le titre de Poésies sociales des ouvriers, une anthologie des « poètes travailleurs, » parmi lesquels on distingua un cordonnier du nom de Savinien Lapointe. Mme Sand, qui avait le cœur si généreux, s’éprit d’un ouvrier maçon, Charles Poney, poète qu’elle préféra de beaucoup à Victor Hugo, cet aristocrate. Elle écrivait à Poney : « C’est le Peuple, qui éclate par votre voix ! » Elle refusa d’être une grande