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où l’on voyait, dans l’église Sainte-Marie majeure, à Verceil en Piémont, un coq porter la croix, un deuxième coq porter l’encensoir, un troisième le goupillon, les poules suivre et qui chaulaient les oremus, était un pavé de mosaïque marqué de cette inscription latine, ad ridendum : c’est pour rire. Peut-être ne savons-nous plus au juste ce que c’était que rire avec tant d’innocence. Peut-être confondons-nous, sans finesse, le badinage et la rude satire. Peut-être le moyen âge, que les amis du progrès se plaisent à nous représenter comme une époque sombre jusqu’au noir, a-t-il été le temps de la gaieté la plus anodine et charmante.

Nous connaissons très mal le moyen âge ; nous ne savons pas du tout l’interpréter. Nous lisons ses épopées, ses romans, ses chansons : nous sommes déconcertés ; les sentiments, les intentions nous échappent. Et, il faut l’avouer, les commentateurs même diligents ne nous aident pas beaucoup, ne nous aident pas à pénétrer cette âme d’autrefois, d’où est venue la nôtre et qui nous est plus étrangère que l’âme antique.

Les commentateurs n’ont pas le temps ; ou, si l’on veut, ils n’en sont pas encore là. Pour le moment, où ils travaillent à merveille, leur ouvrage immense consiste à délivrer le moyen âge d’une extraordinaire profusion de folies que leurs prédécesseurs avaient accumulées autour de sa littérature. M. Joseph Bédier, l’auteur des Légendes épiques, a entrepris cette besogne salutaire et l’a menée avec bonheur. A la suite de M. Bédier, maints érudits font de même et, quand ils auront achevé leur tâche préliminaire, il sera possible d’examiner les poèmes du moyen âge comme ceux de Ronsard ou de Malherbe, comme les tragédies de Corneille ou de Racine, non plus au travers des nuages que la critique déraisonnable avait assemblés, mais directement et avec une espèce de naïveté intelligente. L’étude parfaite que M. Lucien Foulet vient de consacrer au Roman de Renard est de celles qui auront nettoyé les environs du problème.

Un grand nombre d’œuvres du moyen âge ne sont pas signées ; le nom de l’auteur a disparu. Il s’agirait de le chercher, de le trouver, de chercher aussi quelques renseignements sur cet homme, de savoir ce qu’il a voulu dire. Faute de trouver le nom de cet homme et l’anecdote de sa vie, l’on connaîtrait son époque, les influences qu’il a subies, les circonstances qui l’ont fait écrire : et l’on s’occuperait de l’entendre un peu comme ses contemporains l’entendaient.

L’auteur ?... Pauvres gens, qui vous figurez qu’au moyen âge il y avait des auteurs ! Au moyen âge, les livres n’étaient pas écrits par