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jardins (où un automobile l’avait rapidement amené), on enterrait le jeune Abd El Malek, pacha de cette région de l’Atlas, et vivant souvenir des princes de sa race qui régnaient autrefois dans Séville et dans Grenade... Alors de nouveau, mais cette fois avec quelle mélancolie ! je songeai à la poésie plaintive qui m’était revenue assez étrangement à la mémoire comme un avertissement du destin, quand je regardais, l’autre jour, le bel adolescent ennuyé debout au pied du petit mur de terre sèche :


J’ai passé auprès d’un brillant tombeau,
Placé dans un parterre de fleurs.
— De qui est-ce la tombe ? ai-je dit.
— D’un amant, m’a-t-on répondu,
En faisant un geste de compassion.


V. — RETOUR À MARRAKECH

Il n’y a plus à espérer maintenant que le marabout de l’Ahansal vienne faire sa soumission. Le voudrait-il, il ne le pourrait plus. Après cette mort d’Abd El Malek, le voici plus que jamais prisonnier de ses tribus et de son pouvoir miraculeux. Quant à nous, il ne peut être question de nous engager plus avant dans ces gorges de montagnes, où quelques hommes résolus tiendraient en échec une armée. Il faut revenir sur nos pas et franchir de nouveau, sous une chaleur accablante, la montagne et la plaine fastidieuse que j’ai traversée l’autre jour au pas de mon cheval endormi, — perspective peu réjouissante maintenant que je n’ai plus l’attrait de l’aventure et du pays inconnu.

Mélancoliquement je songe à tout cela sur le plateau sans ombre où s’alignent nos tentes, et où notre seule distraction est de lever les pierres du bout de nos souliers, pour voir si le scorpion qu’on va trouver dessous est un scorpion jaune ou noir, un mâle ou bien une femelle avec son innombrable portée... Et voilà que tout à coup j’échappe, comme par miracle, à cette monotonie. Je m’envole. Un avion m’emporte, tandis que les milliers de regards qui nous suivent, semblent nous retenir à la terre comme la queue d’un cerf-volant. Rapidement le camp prend l’aspect d’une petite boite de soldats déballés sur une table. Tout devient immobile. Je ne distingue plus que les blancheurs des tentes écrasées sur le plateau et les