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bourdonne dans la tente-mosquée et va rejoindre le reste du silence, que n’arrive pas à troubler l’instrument qui fait du bruit. Parfois, un cheval lève la tête ; un mouton du troupeau fait quelques pas au milieu de la pierraille : si grande est l’immobilité de tout qu’on est étonné de ce geste comme si, soudain, dans un bazar, on voyait les animaux d’une bergerie s’animer.

Devant la tente du Madani, les esclaves sommeillent ; l’eau fraîchit dans les gargoulettes ou dans les peaux de chèvre suspendues à trois piquets ; les soies fanées des étendards pendent le long des hampes, comme accablées par la chaleur. A quelques pas, des chevaux harnachés, le cou penché sur l’homme accroupi qui les garde, annoncent qu’il y a des visiteurs chez le Fqih. Voici en effet leurs babouches, neuves ou fatiguées, alignées devant sa porte, et je devine les gens en visite, accroupis dans la pénombre, occupés à poursuivre une conversation sans fin, toute pareille à celle que mène, en ce moment, devant une tasse de thé, dans une Kasbah du voisinage, l’énigmatique Sidi Mah.

D’autres fois, le Glaoui est seul. Je l’aperçois étendu comme un mort dans ses blancs vêtements, sur son lit de repos. Le faible mouvement de l’écran de palmier qu’il agite devant son visage, montre qu’il n’est pas endormi. Vers quoi se tourne sa pensée ? Remonte-t-elle vers le passé ? Ne demeure-t-elle pas, au contraire, uniquement attachée aux circonstances du présent ? Tout ce monde oriental, qui semble toujours enfoncé dans un demi-sommeil si favorable au songe, ne donne au souvenir et à la rêverie que peu de minutes de sa vie. Ce Glaoui, presqu’immatériel dans l’ombre de sa tente au milieu de ses mousselines, a-t-il accordé plus de place dans ses préoccupations aux pensées désintéressées qu’un homme d’affaires américain ? Comme tous les gens d’ici, il s’est toujours montré l’homme du présent et du désir ; il a tout convoité ; il n’a désiré la puissance que pour posséder les biens les plus positifs du monde : la richesse et les honneurs. Et cela ne laisse pas de surprendre, quand on le voit, si apaisé, balancer devant son visage son petit écran. de palmier ou égrener entre ses doigts son long chapelet à grains noirs.

Pareil à quelque réminiscence d’un très ancien conte oublié, passait parfois dans ce silence et dans cet accablement, son fils