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son coup, avant que la Grande-Bretagne et les États-Unis aient eu celui de mettre debout leurs armées et de leur faire traverser l’espace, il demeure vraisemblable qu’elle le tenterait, ou du moins possible qu’elle le tente. Elle ne le réussirait pas, soit, et l’Angleterre et l’Amérique arriveraient. Mais elles seraient arrivées bien plus sûrement encore, si l’Allemagne avait eu à enlever la tranchée, à franchir le fossé du Rhin, tenu dans toute sa longueur et non pas seulement sur un parcours trop faible, de Lauterbourg à Bâle. Et soit : parce que l’Angleterre et l’Amérique arriveraient, la France ne serait point vaincue ; mais combien de ses départements de l’Est et du Nord seraient exposés à être de nouveau ravagés ? Le glorieux privilège d’être « la frontière de la liberté, » le carrefour des routes séculaires d’invasion, le champ de bataille, contre les Barbares, de l’humanité civilisée, devrait être dépouillé de ses tristesses, et, pour en partager également les misères, et n’en pas faire porter tout le poids toujours aux mêmes, il faudrait instituer entre nations libres et gardiennes du droit, outre un contrat de société, une sorte de chambre de compensation. Mais, plutôt même que de mettre en commun les dommages, il serait plus sage de tout prévoir et de tout arranger pour les éviter.

De toute façon, c’est moins à la Chambre française qu’au Sénat américain que se joue le sort du Traité, bien que la France y soit plus intéressée que ne le sont les États-Unis. Ce traité est pour nous en fonction de l’alliance anglaise et de l’alliance américaine : c’en est à la fois le fort et le faible. Il a déjà été ratifié par le Parlement britannique, mais si d’aventure le Sénat de Washington n’en votait pas la ratification, ou ne la votait qu’avec des amendements qui exigeraient une refonte, il ne nous resterait rien. Aucune sûreté, aucune garantie. Plus d’alliances, l’alliance anglaise étant liée à l’alliance américaine et pas de frontière, le Rhin ayant été sacrifié à l’alliance, ou, si l’on le veut, l’alliance préférée au Rhin. Il y a toujours de l’imprudence à déroger à l’éternelle maxime qui commande de placer en soi-même sa première sûreté et de tirer sa garantie de moyens dont on dispose. Mais nous espérons bien que nous ne le disons que pour le précepte, pour les cas à venir, en doctrine, et que, touché précisément de la situation où se trouverait la France, si le Traité était remis en question, situation qu’il n’ignore pas et qu’on lui a montrée, le Sénat américain n’insistera pas sur ses réserves et donnera son approbation. Au reste, il faut se rappeler que le Traité contient un article aux termes duquel, pour qu’il soit valide, il suffit que trois des Puissances principales l’aient ratifié. C’est fait pour la Grande-Bretagne ;