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les réserves constitutionnelles, suivait. On nous laissait le choix, mais on nous imposait l’option. Ceci ou cela. Non point la bonne frontière militaire et l’alliance ; mais l’alliance ou la frontière militaire. Le Gouvernement français s’est décidé pour l’alliance, et qui de nous, même s’il persiste à croire que deux précautions valent mieux qu’une et que l’une ne dispensait pas de l’autre, oserait lui reprocher son choix ? La faute, s’il y en a une, n’est pas d’avoir choisi, mais d’avoir contraint à choisir. Ce n’est qu’entre deux maux qu’il faut choisir le moindre ; entre deux biens, il faut choisir les deux. Tout le monde, et le gouvernement tout le premier qui s’y résignait, et plus encore ses conseillers techniques qui ne s’en contentaient pas, était loin d’être persuadé que, n’y ayant rien à regretter, il n’y eût rien à désirer de plus. Mais que faire ? Dans son second mémoire, produit à la Commission de la Chambre, le Gouvernement s’est donné beaucoup de peine pour établir qu’il a bien fait de faire ce qu’il a fait. Et sans doute en est-il un peu de ce second mémoire, qui est plus souvent en opposition qu’en accord avec le premier, et qui n’est pas, tant s’en faut, de la même force, comme de ces préfaces, écrites après l’ouvrage terminé, et dans lesquelles l’auteur se découvre des intentions qu’il n’avait jamais Pues en écrivant l’ouvrage. Mais il n’importe, si le résultat est acquis et si c’est un grand résultat…

L’alliance de l’Angleterre et l’alliance des États-Unis, leur engagement de ne pas nous laisser combattre seuls, au cas où l’Allemagne nous attaquerait sans que nous l’en eussions provoquée, est certainement un des plus grands que l’on pût obtenir. Ce n’est pas nous qui en médirons. En dépit des hésitations que pourrait faire naître le rapport de 1912, dont Ludendorff n’a pas décliné la paternité, nous croyons volontiers que l’Allemagne eût reculé, en août 1914, devant sa propre audace, si elle eût été prévenue que son agression déclencherait immédiatement l’intervention, en sens contraire, de la Grande-Bretagne, et, plus tard, l’intervention des États-Unis. Nous voulons le croire, et nous croyons donc que l’alliance anglaise et l’alliance américaine portent en elles-mêmes une puissante d’inhibition morale extraordinaire. Néanmoins, l’amorale Allemagne que nous avons connue, et qui persévère dans son être, n’est guère sensible à une contrainte morale. Il est vrai encore que celle-ci se matérialiserait un jour en fer et en or, mais les plus loyales nations du monde, les plus vaillantes et les plus riches, ne peuvent donner que ce qu’elles ont. Comme tout au monde, elles sont soumises aux lois de l’espace et du temps. Supposons que l’Allemagne pense avoir le temps de faire