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elle se tourna vers l’enfant divin : « Tu sais, mon Seigneur Jésus-Christ, que l’époux temporel doit s’exposer à tous les périls de fatigue et de mort pour aider et pour sauver son épouse de toute honte, de toute souillure. Et si tu ne me secours pas dans ce péril, tu vois bien que je ne pourrai te conserver ma foi comme je te l’ai promis... Et nonobstant que je sois une pécheresse indigne de ta grâce, je te prie par cet amour et tendresse qui t’ont poussé à créer le ciel et la terre et toutes les choses qui y sont, et je le prie par l’amour et la charité qui t’ont poussé à prendre un corps humain et à venir sauver les générations humaines avec tant de souffrance, d’humiliation et dans une mort si amère, je te prie de m’accorder la miséricorde et de ne pas m’abandonner, parce que tu sais que je suis ton épouse et que ma souillure, ma honte, serait la tienne ! » Ce dernier cri est admirable. On entend la jeune fille, ses sanglots, ses redoublements de prière, ses appels déchirants ; on voit ses cheveux épars et ses bras qui se tordent vers la Vierge. Sa supplication se fait plus ardente et plus impérieuse à mesure que l’ennemi approche. Il entre. Un caporal a saisi la malheureuse. Elle gémit : « Fils de Dieu, ne m’abandonne pas ! » A ces mots, un autre caporal survient. Les deux soudards vont se battre pour cette proie. Messer Giovanni Acuto, comprenant que cette petite fille allait causer la mort d’un de ses bons soldats, ne vit qu’un moyen de les mettre d’accord. Il lui traversa le cœur d’un coup de sa dague. « Ainsi la Vierge emmena dans la vie éternelle, vierge et martyre, l’épouse de son Fils. »


IV. LA SALOMÉ DES SERVI

Cette imagination des Siennois, ce sens dramatique de la beauté, qui se déploient dans leurs cortèges, qui animent leurs légendes, qui font de leurs saints des poètes et des conteurs, ne sont qu’une des manifestations les plus hautes de leur puissant amour de la vie. Mais ils ont eu aussi l’amour effréné du plaisir. Il y a dans l’église des Servi une fresque du XIVe siècle dont on ne connait point l’auteur. Une petite Salomé danse devant la table où sont assis le Roi et ses compagnons, pendant qu’un homme à grosse barbe apporte le chef sanglant. Ella est menue et frêle : une marionnette. Mais elle danse et tout son corps