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les tombes des cénobites et des moines, un bruissement continuel de miracles, à ce point que le prieur dut, au nom de la sainte obédience, enjoindre à ces morts de se tenir tranquilles. Ils obéirent, mais les bois étaient peuplés d’apparitions. Fra Philippo en sortait le poil hérissé, et ses sermons donnaient aux Siennois la chair de poule. Leurs péchés, le jeu, la colère, le blasphème, la luxure, la sorcellerie, ont trouvé en lui un peintre du même ordre que ceux qui enluminaient les registres de la Biccherna. Sorcières emportées par le diable ; insulteurs de saints brûlés du feu de saint Antoine ; mauvais prêtres qui, au moment de consacrer l’hostie, la voient s’envoler de leurs mains ; chasseur qui lance son chien sur un pauvre, et devant le signe de croix du malheureux, ses seules armes, la bête qui se détourne, pleine d’humanité : ces petites scènes fantastiques sont racontées par un homme qui les a vues. Et cet homme a vu le diable. Il le connaît ; il le reconnaîtrait entre mille. Ce n’est pas difficile quand le Maudit chevauche sous les traits féroces d’un capitaine de reitres, à la tête d’une cavalerie de faux dieux et de démons plus noirs que des Éthiopiens. Mais il ne parade pas toujours en si brave équipage. Il se déguise sous le froc de l’ermite, sous la robe du théologien hérésiarque, sous le manteau du séducteur. Il ne dédaigne point les humbles emplois. Cette servante qui teint les cheveux de sa maîtresse et qui lui peint les paupières, c’est lui ! Fra Philippo le dépiste, le démasque : il est le plus passionné des détectives attaché aux pas du plus redoutable des criminels.

Je feuillette ses Assiempri. La lecture en est amusante, un peu monotone. Mais tout à coup j’arrive à l’Histoire d’une Jeune Fille gardée par la Vierge Marie pour le Martyre. L’histoire est de la veille. Nous sommes en 1377. Les compagnies d’aventuriers désolent l’Italie. Sienne vient d’apprendre en tremblant le sac de Faenza et de Cesène par l’atroce Giovanni Acuto. Et à cinq siècles de distance, les accents de Fra Philippo me prennent le cœur comme ils ont dû le prendre aux Siennois d’alors. Cette jeune fille était belle de corps et d’âme. Au bruit que la ville était prise, elle se jeta à genoux devant la Vierge : Tu sais, Vierge Marie, s’écria-t-elle, que j’ai voué et offert ma virginité à ton fils et que je l’ai choisi pour époux. Tu vois que je suis entourée de loups d’enfer. Je te supplie, très douce mère de Dieu, de ne pas souffrir que je sois souillée... » Puis