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beaucoup des maux qu’ils commettaient. Tout ce début est excellent. Excellentes aussi, la confession de l’âne et celle du renard, qui, lorsqu’il s’introduit dans un poulailler et que les poules sont trop haut perchées, brandit sa queue comme un bâton : elles s’effarent, s’envolent, se posent à terre, où il les croque. Mais je préfère saint Bernardin dans des sujets plus scabreux. J’y admire à la fois sa décence et la vérité poétique de son observation. Un serviteur de Dieu entreprit de sauver une femme tombée. Il excita son repentir et même il la conduisit à Rome pour obtenir l’absolution du Pape. La femme, qui craignait encore les retours offensifs du diable, lui persuada de l’enfermer dans un petit ermitage bien clos. Chaque jour, il allait l’y conforter. Chaque jour, c’était trop ! Du moment qu’ils ne se voyaient plus, ils essayèrent de s’apercevoir par une fente du mur. Les mauvaises pensées n’ont pas besoin d’un plus large passage. Les gens se mirent à jaser, et la femme dit : « Pour empêcher les bavardages, je crois qu’il vaut mieux que vous entriez. Quel mal y a-t-il ? » « Tant et si bien qu’il entra. Ils se regardèrent la bouche et commencèrent à rire. Et je n’en dirai pas plus long ! » C’est inutile. Ce trait emporte tout.

De moins grands que saint Bernardin ont eu les mêmes qualités. Il en est un qui vécut du temps de sainte Catherine et que j’ai cru voir un jour à San Francesco, dans ce vaste hall de prédications, où la clarté du ciel s’enroue, comme dirait Dante, à traverser de lourds vitraux. J’y écoutais un moine qui, monté sur une petite estrade, se démenait furieusement et parlait avec de si étranges sautes de voix qu’on eût juré que trois ou quatre personnes se disputaient sous son froc. Fra Philippo était ressuscité. Ce Fra Philippo descendait d’une famille illustrée par des évêques et des Bienheureux. Une bonne partie de sa vie s’écoula, tout près de Sienne, au couvent de Lecceto qui doit son nom à sa forêt d’yeuses et dont il ne reste que des cloîtres et des fresques où le diable mène la sarabande de nos plaisirs. L’endroit était prodigieusement miraculeux. Le monastère n’avait été fondé que vers le Xe siècle ; mais, bien avant, disait-on, saint Augustin, sainte Monique et saint Jérôme avaient visité cette Thébaïde. Saint Dominique et saint François y étaient venus aussi. Ce dernier n’y avait point séjourné longtemps, parce qu’on y faisait trop de bruit. C’était en effet, sur