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l’aurore. L’huile de la lampe, qui brûlait toujours, n’avait point baissé.

Une fenêtre ouverte dans la nuit comme pour un rendez-vous d’amour ; une jeune fille éblouissante et charmée, qui porte la lampe des vierges sages ; un homme très noble, aux mains jointes, aux yeux extatiques, qui la supplie et veut conquérir son âme au Seigneur Jésus : que de fois, dans les vieilles ruelles de Sienne, j’ai nostalgiquement évoqué ce tableau où la gentillesse siennoise se nimbe d’une lumière qui n’est pas de ce monde ! Dieu accomplit partout ses miracles, mais il ne leur donne cette forme exquise qu’aux endroits où l’on est capable d’en sentir toute la poésie.

Je ne connais guère de poème plus vivant, plus pathétique, que la lettre de sainte Catherine sur la mort de Niccolo Thuldo, ce jeune Pérugin condamné pour raison politique, qui certainement l’aima de toute son âme, qu’elle convertit, qu’elle accompagna jusqu’à l’échafaud et dont elle reçut dans ses mains la tête et le sang. On hésite à juger comme une œuvre d’art les pages brûlantes d’émotion qu’une sainte a dictées pour son confesseur. Il nous est tout de même impossible de ne pas être touché par ce que j’appellerai leur beauté profane. Catherine aurait pu faire ce qu’elle a fait et ne pas savoir le raconter. Cette fille du peuple, illettrée, a le génie de sa race. Il n’ajoute rien à sa sainteté. Mais il se révèle dans la vivacité dramatique et dans le coloris de son imagination.

Les apologues, les contes, les souvenirs personnels, dont saint Bernardin, à l’exemple de tous les prédicateurs du moyen- âge, mais sans leur crudité, entremêle ses sermons populaires, témoignent aussi, moins inconsciemment, il est vrai, de ce sentiment artistique. Son sobre réalisme, qui rencontre toujours le trait pittoresque, a quelquefois l’éclat d’une colère généreuse et plus souvent la saveur de la bonhomie. Le vieux sujet du XIIIe siècle, d’où La Fontaine a tiré ses Animaux malades de la peste, personne, avant notre fabuliste, ne l’a traité avec plus de verve. Le lion, ayant appris un jour que des moines s’étaient réunis en chapitre pour confesser publiquement leurs péchés, n’entend pas qu’un supérieur de couvent lui en remontre, à lui le plus grand des animaux et leur seigneur. Il les convoque donc et leur ordonne d’avouer leurs fautes, comme les moines, car il lui est revenu qu’on se plaignait