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cela hâtera le moment de notre réunion et tu dois penser que je m’en consolerai. » Le 21, il est à peu près fixé sur son sort. « Un décret, écrit-il, éloigne de l’armée tous ceux qui ont fait partie de la maison du ci-devant roi. Je ne sais si je suis dans ce cas. Il me fâcherait beaucoup de la quitter dans ces circonstances, mais j’aurais un motif de consolation en allant auprès de toi. Je soumettrai ma position aux représentants du peuple ; ils prononceront. » Trois jours après, l’arrêt est rendu : « Le décret concernant les personnes qui ont servi dans les maisons militaires de Louis Capet a été publié aujourd’hui, écrit-il de Wissembourg, le 24. En conséquence, je pars demain pour Strasbourg, pour rassembler mes effets, vendre mes chevaux, ma voiture et aller à Dôle qui est la municipalité où je fixe ma résidence puisqu’elle se trouve à plus de vingt lieues de poste des frontières.

« La loi pouvait laisser du louche sur ma position, puisque j’ai été réformé de la maison de Louis Capet depuis dix-huit ans ; mais les représentants du peuple que j’ai consultés m’ont dit qu’il fallait commencer par exécuter le décret et qu’ils feraient des observations au Comité de Salut public. Tu dois bien penser que je ne compte pas beaucoup sur une décision favorable. J’emporte du moins la satisfaction que procure la bonne conscience et la certitude d’avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de l’armée et pour la défense de la République. J’ai vu les bataillons à la tête desquels j’ai combattu dernièrement, me témoigner leurs regrets d’une manière non équivoque et vouloir faire des démarches pour moi ; mais leur estime et leur amitié me suffisent. »

Il venait justement de prendre part, les 11, 12 et 13 septembre, à la reprise du camp de Rothweiler qu’avaient occupé les Autrichiens. Cela n’avait d’ailleurs eu aucune conséquence : « L’ennemi étant plus fort que nous et étant retranché, écrit-il, nous n’avons pu le faire reculer ; mais nous n’avons rien perdu de notre terrain. » A ce moment même où il eût pu la mieux servir, il devait quitter l’armée. « Je suis bien convaincu, écrit-il, qu’il se commet de grands abus et des abus d’autorité. J’en ai tous les jours la preuve ici, mais qu’est-ce que cela fait à la République ? Cela prouve seulement qu’il y a des hommes méchants, vindicatifs, livrés à leurs passions et indignes de vivre dans une république ; mais cela ne prouve