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la Seigneurie. Leurs aventures ont allumé en eux une soif insatiable de pouvoir et d’honneurs. Ces hommes, si âpres au négoce, deviennent prodigues, dès qu’il s’agit des intérêts de la Commune ou du plaisir de ses yeux. La veille de Montaperti, le Trésor public étant presque épuisé, les Salimbeni apportèrent sur la place San Christophano, dans un char recouvert d’écarlate et orné de branches d’olivier, cent dix-huit mille florins d’or qu’ils versèrent à la République. Avec tout l’argent qu’ils ont raflé et raclé dans leurs boutiques de changeurs, ils font de la beauté. Leur avarice a couvé la joie de la Renaissance. Ils appellent des architectes, des sculpteurs, des peintres. Ils les tiennent pour les meilleurs répondants de leur gloire. Ils demandent à l’art de leur rendre la vie plus noble comme aujourd’hui nous demandons à l’industrie de nous la rendre plus confortable. Ils se souviendront peut-être à leur lit de mort que l’Eglise défendait l’usure. Mais toutes les églises et toutes les fontaines de la ville et le Palais municipal les ont absous de leur oubli.

Au-dessous de ces marchands aristocrates et guerriers, un peuple d’artisans les imite, s’instruit a leur exemple, se fortifie chaque jour dans le sentiment de sa valeur et les forcera bientôt de partager le pouvoir avec lui. La ville est sagement administrée. Elle l’est aux sons des cloches. La cloche tient lieu de porte-voix aux Signori, d’horloge aux citoyens. Dès l’aube, elle sonne l’ouverture de la ville. Les écheveaux d’or et d’argent filés dans les fabriques de Lucques ou de Venise, les laines de la Maremme, les draps de France, de lourds chariots qui venaient même d’Espagne, s’ébranlaient au tintement des matines avec toutes les denrées de la campagne. A sept heures, la cloche annonçait le retour de la vie publique. Les fonctionnaires de la commune, revêtus de longues robes comme celles des prêtres, sous leurs chaperons en velours noir ou cramoisi, les officiers de la Gabelle, les contrôleurs du Trésor, qu’on appelait la Biccherna, traversaient rapidement le marché. La foule se pressait bientôt aux portes des palais où les magistrats rendaient la justice. En ce temps-là, la procédure n’éternisait pas les procès. Devant les tribunaux il y avait plus d’égalité qu’aujourd’hui entre les pauvres et les riches ; et les citoyens de Sienne jouissaient de l’habeas corpus. Vers midi, la cloche du Dôme ou de Saint-Martin avertissait les notaires et