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quartier sent la tannerie. La rue, qui descend en pente raide jusqu’à la Fontebranda, est rarement balayée. Le pied du passant soulève et éparpille sur les pavés gras des nuages de mouches. On n’y rencontre souvent que des chats galeux et une oie qui se dandine et dont l’image, surmontée d’une couronne, est sculptée sur une maison en face de celle des Benincasa. Mais dès qu’un étranger y parait, petites filles et petits garçons sortent de partout, et toutes les pierres vous crient avec des voix enfantines : « Santa Catarina, signor, Santa Catarina ! » Cet après-midi, la rue n’était pas plus propre. Et la foule qui l’encombrait ou qui regardait aux fenêtres ne songeait point à sainte Catherine. On attendait le cheval.

Il vint tout harnaché, car la chapelle est trop petite et les assistants trop nombreux pour qu’on l’y harnache, comme on le fait ailleurs ; et la foule entra avec lui. Le fantino et son palefrenier, le barbaresco, le tenaient par la bride. Ils s’avancèrent jusqu’aux marches de l’autel où s’élève la statue de bois de la sainte, la Catherine de Neroccio, si jolie avec sa moue d’adolescente, mais si peu elle ! Le prêtre prononça l’oraison : « Dieu, notre refuge et notre force, écoute les pieuses prières de ton Église, toi de qui vient toute pitié, et donne-nous d’obtenir efficacement ce que fidèlement nous te demandons. Dieu, Père et défenseur du genre humain, toi qui as fait l’homme à ton image, garde, protège, défends, dans la course prochaine, de tous les périls qui le menacent ton serviteur que voici. Exauce, Seigneur, notre prière et verse tes bénédictions sur cet homme et sur ce cheval. Libère-les des dangers présents et délivre-les de tous les maux par l’intercession du Bienheureux Antoine et de la Bienheureuse Catherine. » Puis il s’approcha le goupillon à la main, et il aspergea l’homme et la bête. Sous les gouttes de l’eau bénite, le cheval tourna la tête, étonné, et secoua les oreilles. Mais il ne se permit rien de plus, au désappointement des gens de la contrade. Lorsqu’il salit le pavage, c’est un signe de victoire, et les rires éclatent mêlés aux actions de grâce. Parmi les spectateurs étrangers, fort peu apportent à cette cérémonie la simplicité de cœur qu’il faut pour ne la juger ni ridicule ni malséante. Mais une sainte Catherine, un saint François d’Assise seraient moins sévères et n’estimeraient pas que la présence de ce serviteur à quatre pattes rabaisse la majesté d’un lieu saint. Quant aux paroles consacrées, j’y admire la