Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se profile l’église des Dominicains, énorme, solitaire et grise, « comme un vaisseau qui aurait jeté son ancre parmi les étoiles. » C’est une des vues les plus impressionnantes que je connaisse. Et je n’oublierai jamais l’admiration qui m’envahit lorsque, au hasard de ma promenade, ces différents aspects de Sienne émergèrent de la pénombre, et que j’assistai à la résurrection quotidienne de sa beauté. Le matin me trouva derrière le palais municipal d’où le regard s’étend sur la campagne. Par ce chaud mois d’août, la plaine était noyée de vapeurs. Elles découvraient en se déchirant des bois d’oliviers, des vignes, quelques noirs cyprès. Les cloches sonnaient la fuite de ces fantômes. La foule rentrait. Les gamins, pour qui cette nuit de vagabondage était une aubaine, guettaient les étrangers. D’ordinaire ils vous disent : « Monsieur, veux-tu voir la maison de Santa Catarina ? » ou : « Veux-tu que je te conduise au Baptistère ? » Mais, ce matin-là, ils me crièrent : « Monsieur, donne-moi un sou, et je te montrerai d’où est venu le tremblement de terre ! » Ah ! ces jeunes Italiens savent mettre en valeur les merveilles de leur passé et les phénomènes de leur nature !


I. — LA VIE À SIENNE : LE PALIO

Les premiers jours, dans une ville étrangère, ni la terre ni les visages ne vous parlent. Vous vivez à travers un monde muet. Mais peu à peu les pierres s’animent ; un tournant de rue prend un sens ; un coin de mur sort de l’anonymat et luit ; une porte s’entr’ouvre, une légende vous fait signe ; par les fenêtres ouvertes, derrière les gens qui vous regardent, vous en apercevez d’autres plus vivants qu’eux. C’est dans les villes neuves que vous vous sentez longtemps dépaysé. Les morts n’ont rien à. vous dire : ils sont aussi impénétrables que le cocher qui vous mène à l’hôtel et que l’hôtelier qui vous héberge. Mais je ne sais guère de ville où l’on entre plus aisément dans le passé que cette âpre Sienne. Tous ses chemins y conduisent. Ces chemins eux-mêmes ne sont que du passé respecté par le temps et, ce qui est plus rare, par les hommes [1].

  1. Il a paru tout récemment sur Sienne des pages charmantes de M. Gabriel Faure dans ses Paysages Littéraires (2e Série. Ed. Charpentier ; : et un admirable livre de M. André Pératé, avec eaux fortes et dessins de M. P. A. Bouroux. (Édition de luxe, à tirage limité. De Boccard, éditeur). C’est le plus bel hymne d’amour que Sienne ait inspiré. M. Pératé a su faire vivre et revivre toutes les beautés de la ville, tous ses souvenirs religieux avec un art qui est un mélange exquis d’érudition et de poésie. — Parmi les livres que j’ai consultés, je citerai l’excellente Histoire de Sienne de Langton Douglas, traduite par G. Feuilloy (Ed. Laurens), — Sena Velus de Rondoni, — les deux livres très intéressants de Heywood sur le Palio et Fra Filippo, — Vita Publica de Senesi... de Zdekauer, — Costumi Senesi... de Falletti Fossati, — Documenti del commune di Siena de J. Luchaire.