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aux Jacobins de Strasbourg. Il n’a jamais été dans aucune de ces sociétés et il s’est toujours occupé entièrement de son métier, ce qui valait sûrement mieux. »

Victor de Broglie suspendu, en attendant qu’il fût mis en accusation, Malet devait en subir le contre-coup ; on l’accusa d’avoir émigré et il dut envoyer à la municipalité de Dôle un certificat de présence à l’armée. Il n’en était pas moins parfaitement satisfait des événements qui auraient pu alarmer un homme moins sûr de soi. Il écrit le 27 septembre : « On a publié hier ici la loi d’abolition de la royauté. On y a mis tout l’appareil que le temps horrible permettait. La ville a été illuminée et l’assentiment général a été bien prononcé comme je crois qu’il l’a été partout. » Et Malet voit dans la proclamation de la République la fin de « la division qui règne en France. » Il se hâte de notifier la fixité et l’invariabilité de ses opinions : ainsi fait-il graver pour placer en tête de ses lettres une vignette allégorique : un chêne — c’est-à-dire la nation — surmonté du bonnet de la Liberté, décoré d’un drapeau, entouré de canons, sur l’un desquels un coq qui chante est gardé par un lion. Courage, vigilance, force, peuple libre, symboles qui ne peuvent abuser et il suffit de les entendre.

Il écrit de Colmar : « Il me paraît, ma bonne amie, que tu vois les choses un peu trop en noir et que tu regardes les excès du moment comme un état permanent. Tu dois te souvenir que, lors de l’acceptation du Roi, tout a été tranquille pendant quelques mois, imaginant que nous étions à la fin de nos travaux, mais les ennemis du nouvel ordre de choses se sont bien vite ennuyés de cette tranquillité et c’est à cette époque que les émigrations ont commencé plus fort que jamais et que l’on a cherché à jeter de l’inquiétude dans l’esprit du peuple par les menaces les plus ridicules. Il n’y a pas de doute qu’ils ont cherché à amener les événements actuels, imaginant pouvoir en profiter pour ramener, par le désordre, le régime qui leur plaît tant : le despotisme. » Ainsi était-il décidé que, seuls, les contre-révolutionnaires commettraient des crimes. Malet sentait pourtant qu’il allait un peu loin ; aussi ajoutait-il : « Malgré ma façon de penser, tu dois bien croire, mon amie, que je n’approuve pas toutes les vexations particulières : encore si elles ne tombaient que sur ceux qui se les sont attirées, cela ne serait que demi-mal, mais souvent on