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vu plus que sept à huit fois, de loin en loin et par occasion d’affaires, » il ajoute : « Ce simple fait, Monsieur le comte, ne laissera point échapper à votre esprit combien une seule expression vague et hasardée peut donner aux choses une couleur fausse qui devient ensuite un sujet de préoccupations légitimes, quoique fausses elles-mêmes. Mais il en est bien autrement de la suite d’une conversation que l’on voudrait rétablir après un mois de sa date, et lorsqu’elle n’a rien dû offrir d’abord qui put en conserver la mémoire par un grand intérêt. Il n’est personne, je m’assure, qui ayant un peu réfléchi sur la forme de son esprit, osât prétendre restituer dans son intégrité le plus court entretien de la veille, en rapportant à chacun des interlocuteurs la part exacte qu’il a prise. Ce qui reste ordinairement de ces entretiens, ce n’est point le souvenir des termes, des phrases, des expressions qui y ont été employées, ce sont quelques impressions qu’on en a reçues soi-même, et qui se sont vaguement conservées dans l’esprit. Mais ces impressions se forment, non pas immédiatement de ce qui s’est dit, mais de la manière dont on l’a entendu, et cette manière de l’entendre dépend à son tour de la disposition d’esprit, de sentiments, de préventions même où peut se trouver celui qui écoute. Comment serait-il possible, après cela, de rétablir avec quelque sorte de précision des propos fugitifs et déjà éloignés ? N’est-il point évident qu’avec la meilleure foi du monde, un pareil compte est erroné de sa nature, et qu’avec la conscience la plus pure, un galant homme est nécessairement livré aux déceptions de son esprit, lorsqu’il croit ne rapporter que la vérité même. »

Cette forme de défense n’était point pour plaire à Napoléon ; mais, aux yeux de Fouché, elle avait l’avantage de ne compromettre aucun des sénateurs qui eussent pu être mis en cause, et c’était ce que Dubois démêlait avec beaucoup de finesse dans un rapport confidentiel qu’il adressait à l’archichancelier, lequel avait désiré « connaître son opinion sur l’affaire du général Malet. » « Personne n’ignore dans Paris, écrivait-il, et peut-être dans toute l’Europe, qu’il est parmi les sénateurs de la première création, des républicains mécontents, et la conversation du général Malet avec Florent-Guyot et Jacquemont a fait écrire au premier que tout était possible pendant l’absence de Sa Majesté, avec un Sénatus-Consulte vrai ou supposé et des