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différent qu’il fût chez l’un et chez l’autre. Déjà affaiblie par l’épuisement intérieur et par l’action des philosophies et des religions universelles, cette aristocratie fut à la fin surprise par une crise politique qui l’anéantit. Cette crise politique mérite d’être attentivement étudiée, car avec elle commença la ruine de la civilisation antique. Marc-Aurèle n’est pas célèbre seulement comme empereur. Ses Pensées sont un des plus beaux monuments de la sagesse humaine. Depuis dix-huit siècles le monde les lit et les admire. Il faut pourtant convenir que la philosophie appelée, dans la personne de ce célèbre empereur, à gouverner le monde, se comporta étrangement dans la question de la succession, que des empereurs moins philosophes avaient si bien résolue. Au lieu de s’entendre, comme ses prédécesseurs, avec le Sénat et de choisir Claude Pompeianus que le Sénat proclamait unanimement le plus digne, Marc-Aurèle se donna, en 177, comme associé à l’Empire, lui faisant attribuer la puissance tribunicienne, son fils Commode, âgé de quinze ans. Comment se fit-il que précisément un philosophe stoïcien ait tenté d’introduire le principe dynastique dans la république aristocratique qui gouvernait l’Empire, c’est là un mystère que les livres anciens ne nous permettent pas d’éclaircir. Mais les conséquences de l’erreur furent terribles. Quand Marc-Aurèle mourut en 180, Commode avait dix-huit ans : il n’avait donc ni l’âge, ni la préparation nécessaire pour remplir la lourde tâche qui lui incombait. En partie à cause de la façon dont Commode avait été imposé au Sénat, en partie grâce à l’incapacité du nouvel empereur, il ne tarda pas à se produire entre le Sénat et le chef de l’Empire un conflit si violent, que Rome n’avait rien vu de pareil depuis le temps de Domitien. Et de même qu’à l’époque de Domitien, cette nouvelle lutte entre les deux pouvoirs suprêmes de l’Etat se termina par une conjuration. Mais tandis qu’après la mort de Domitien le Sénat avait pu maîtriser les événements et imposer à l’Empire son candidat en la personne de Nerva, cette fois, après le massacre de Commode, il ne parvint pas à dominer la situation, ni à imposer de nouveau une sorte de transmission légale de l’autorité suprême. La succession donna lieu à une violente guerre civile, qui aboutit à dresser l’absolutisme militaire de Septime-Sévère sur les ruines de l’autorité du Sénat.