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Nous le lui devons, parce que cette Université est sa gloire et son bien et qu’il serait impie de l’en frustrer. Elle est née à Strasbourg, elle a toujours eu des maîtres alsaciens, au dix-septième siècle, au dix-huitième, même au dix-neuvième, sous le régime des Facultés françaises. Les Allemands, en 1872, prétendirent restaurer l’Université alsacienne de Schœpflin, ils ne firent qu’installer à Strasbourg une Université teutonne : on a vite fait le compte des Alsaciens dont ils tolérèrent la présence à côté des « pionniers de l’esprit allemand : » deux théologiens protestants, deux théologiens catholiques, un historien, un médecin, et l’Université comptait 180 professeurs ! Quelques Privat-docenten Alsaciens-Lorrains furent autorisés à enseigner, mais dûment avertis que jamais ils n’obtiendraient une chaire à Strasbourg.

Cependant cette Université d’où les Alsaciens-Lorrains étaient évincés, c’était l’Alsace-Lorraine qui en payait les bâtiments, les laboratoires et les professeurs. On rencontre parfois à Strasbourg des Français qui, devant les splendeurs de l’Université, s’émerveillent de la munificence de l’Empire. Non, l’Empire tirait gloire et profit de l’Université ; Guillaume II ne perdait jamais une occasion de rappeler qu’elle avait été fondée par son inoubliable grand-père. Mais la bande des professeurs pangermanistes était logée et entretenue aux frais de l’Alsace-Lorraine. Les bâtiments universitaires ont coûté environ 25 millions de marks. Au début, le Reichstag accorda une subvention de 3 800 000 marks ; l’Hôpital civil a concouru, dans une certaine mesure, à la construction des cliniques ; la ville de Strasbourg a renoncé à ses droits d’octroi sur les matériaux jusqu’à concurrence de 600 000 marks. Tout le reste est resté à la charge de l’Alsace-Lorraine. Quant au budget des dépenses annuelles, nous en avons déjà parlé ; l’Empire n’en payait qu’un sixième. Il faut retenir ces chiffres. Le merveilleux outillage scientifique que la victoire a mis dans nos mains, n’est pas un butin de guerre pris sur l’ennemi, c’est la propriété de l’Alsace-Lorraine.

Nous devons à l’Alsace de gérer, de défendre et d’accroître ce patrimoine, parce que, pendant quarante-cinq ans, ses étudiants n’ont jamais laissé prescrire leur droit. Jamais ils n’ont accepté d’être confondus avec les intrus venus de l’autre rive du Rhin. Ils ont formé des associations où aucun Allemand