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subsister à la Cour. « C’est dangereux, évidemment. Et, si l’on a grand besoin de sa chance, on l’organise, on la combine, on la prépare, on la met à l’abri du hasard. C’est probablement ce qu’a fait Brienne : et il ne le dit pas davantage. Est-ce qu’il a envie de le cacher ? Il ne prend pas son lecteur pour un sot et, quand il a dit que, sans le jeu, il n’aurait pu vivre à la Cour, il a confiance que vous l’entendez. Mais il ne paraît pas soupçonner que sa friponnerie malheureusement découverte soit la cause de ses malheurs. Une telle friponnerie n’était pas rare : et ses malheurs sont épouvantables. Du reste, Chapelain ne croit pas que cette anicroche soit le tout de l’affaire. Après avoir conté que le jeune Brienne est exilé de la Cour, il ajoute : « ce qui serait peu de chose, les relégations de gens de cet âge ne durant pas d’ordinaire si longtemps. Mais ce qu’il y a de pis est que Sa Majesté s’est fait entendre qu’elle ne se servirait jamais de lui en la charge de secrétaire d’État, dont il avait la survivance, et que même elle voulait qu’il s’en défît. » Bref, pour Chapelain comme sans doute aussi pour Brienne, la friponnerie expliquerait un mois ou deux d’exil en province, non la disgrâce à tout jamais. Et voilà ce que Brienne trouve si étrange que, pour comprendre sa disgrâce, il a recours aux hypothèses les plus bizarres. Il se demande si le roi ne l’a point châtié d’aimer à l’excès, qui ? La Vallière ?… Non : le latin.

Car il avait la passion, la manie peut-être, du latin. Quand il revint de Laponie, c’est en latin d’abord qu’il rédigea le récit de son voyage. Quand il siégea au Conseil, il rédigea en latin certains actes qu’on ne destinait point à cette langue. Il composa des vers latins comme un pédant fieffé. Les pédants ne lui en surent aucun gré : Chapelain ne lui pardonne pas d’avoir préféré Tacite à Cicéron. Mais enfin ce n’est pas l’amour du latin qui a perdu le jeune Brienne.

Qu’est-ce qui l’a perdu ? Il a tort de chercher plus loin que la vérité ; l’on aurait tort de suivre ses divagations. La vérité, le roi l’a dite, et clairement. La vérité, c’est que le jeune Brienne travaillait mal et se rendait pour le moins inutile : « on ne pouvait seulement pas lui confier la fonction de son emploi. » Il n’était pas inintelligent ; mais il était brouillon, peu discret, tout dépourvu de méthode. Il ne songeait qu’à briller, qu’à montrer sa facilité de parole, son adresse à toute chose. Il s’occupait de lui sans cesse, et non de l’État. Il ne traitait point une affaire : il employait une affaire à illustrer ce qu’il appelait son génie. C’était là une façon que précisément le roi ne pouvait pas souffrir, et qui l’impatientait et qui choquait sa bonne